Les sanctions russes risquentd’engorger l’Europe qui perd un débouché important, en fruits et légumes notamment.
La Russie va se priver de nombreux produits frais en suspendant ses importations agroalimentaires en provenance d’Europe. L’embargo va engorger le marché européen.
Avec l’Ukraine (avant la crise) et le Brésil, l’Allemagne et les Pays-Bas figuraient, l’an passé, parmi les principaux fournisseurs de la Russie, qui importe 35% de sa consommation alimentaire. Ce pays absorbe ainsi 10% des exportations agricoles et agroalimentaires de l’UE pour un montant de 12 milliards d’euros (14,6 milliards de francs) par an, selon Eurostat.
"La Russie est exportatrice de céréales, mais fortement importatrice de légumes et fruits et de produits transformés tels la viande, les produits laitiers", rappelle Xavier Beulin, patron du principal syndicat agricole français, la FNSEA.
Fruits frais, fromages, porcs ... représentent à chaque fois un volume d’affaires d’un milliard d’euros environ. Ce sont avec les légumes (770 millions) les marchandises qui manquent le plus aux tables russes et constituent les principales importations alimentaires d’Europe avec les vins et spiritueux (1,5 milliard euros).
Production abondante et périssable
Les pommes, les tomates et les pêches en particulier sont achetées chez les Européens qui traversent justement une grave crise cette saison, en raison d’une production abondante et hautement périssable qui se fait concurrence aux étals.
D’où un double effet probable que redoutent déjà les producteurs, résume M. Beulin : "La Russie se ferme aux importations, mais les produits qui n’iront plus à l’exportation vont se rabattre sur les pays européens et créer une situation de crise", craint-il.
Selon le président de la fédération des producteurs de fruits français (FNPF), Luc Barbier, les "Espagnols exportaient (en 2012) environ 100 000 tonnes de fruits vers l’Ukraine et la Russie : autant de quantités qui vont se rabattre sur le marché communautaire", prédit-il.
Italie, Espagne et France traversent déjà la guerre de la pêche et de la nectarine avec des prix effondrés et "la catastrophe" se profile avec la pomme, annonce-t-il. Les Français ont expédié pour près de 26 millions d’euros de fruits en Russie en 2012, selon M. Barbier.
"Mais, cette année, la Pologne qui exportait beaucoup vers la Russie attend une récolte abondante qui va naturellement se reporter sur le marché intérieur" de l’UE.
Pologne, gros producteur de pommes
Selon la Wapa, l’association mondiale des producteurs de pommes et de poires, la Pologne est de loin le plus gros producteur de pommes de l’Union (3,5 millions de tonnes attendues cette année) avec l’Italie (2,3 millions) et la France (1,5 million).
Au total, Paris a expédié l’an passé 1,17 milliard d’euros de produits agroalimentaires vers la Russie, dont 450 millions en boissons alcoolisées.
Le premier dévissage sérieux jeudi est cependant venu de Norvège, où les éleveurs de saumon, Marine Harvest en tête, ont vu leurs actions dégringoler de 8 à 10% en milieu de journée à la Bourse d’Oslo. La Norvège n’est pas membre de l’UE, mais avait souhaité se joindre aux sanctions contre Moscou. Or, la Russie, principal débouché pour ses produits halieutiques, avait acheté près de 380 millions d’euros depuis janvier.
En viande bovine, le premier fournisseur de la Russie reste de loin le Brésil, devant les autres pays d’Amérique latine et l’Amérique du Nord (soumise elle aussi aux sanctions pour les Etats-Unis).
La contribution de l’UE quant à elle était déjà en net recul depuis 2013 (moins de 50 000 tonnes équivalent carcasse contre 100 000 en 2011 selon l’Institut de l’élevage), en raison de restrictions sanitaires souvent comprises comme des "prétextes politiques", relève Guy Hermouet, vice-président de la Fédération nationale bovine chargé de l’exportation.
Coup de frein
Ce sont principalement la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne qui auront à pâtir de ce coup de frein, juge-t-il. Le Danemark et les Pays-Bas seront les plus exposés pour les produits laitiers - la France qui a vendu l’an passé pour 119 millions d’euros de produits laitiers à la Russie représentait moins de 4% des importations du pays dans ce secteur.
Pour les États-Unis, qui exportent relativement peu de denrées vers la Russie (moins de 1% de toutes leurs exportations agricoles), ce sont surtout les poulets qui sont visés (310 millions de dollars), suivis par les noix (172 millions), le soja (157 millions) et le bétail (149 millions), selon les chiffres de 2013 du ministère de l’agriculture.
L’embargo, décrété dans un contexte déjà tendu sur l’Ukraine, est considéré comme "peu justifié" par Bruxelles qui a porté plainte en avril devant l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. C’est d’ailleurs l’espoir des producteurs français de voir l’OMC se saisir des sanctions décrétées par Moscou, indique M. Beulin. Le patron des exploitants agricoles français mise aussi sur la réaction des consommateurs russes face à des étals qui resteraient vides.