La position de l’Académie française est claire : elle s’oppose à toute réforme de l’orthographe. Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’institution, est venue le rappeler dans une interview publiée dans Le Figaro samedi 13 février.
« La position de l’Académie n’a jamais varié sur ce point : une opposition à toute réforme de l’orthographe mais un accord conditionnel sur un nombre réduit de simplifications qui ne soient pas imposées par voie autoritaire et qui soient soumises à l’épreuve du temps. »
Et l’historienne spécialiste de la Russie d’enfoncer le clou, insistant sur le fait que l’Académie française n’avait eu « aucune part » dans cette réforme, « à l’inverse de ce que l’on a voulu faire croire ».
En 1990, un travail de révision du français avait en effet été mené par le Conseil supérieur de la langue française, un groupe de travail mis en place par le premier ministre d’alors, Michel Rocard. Ce groupe de travail composé d’« experts de grande valeur, professeurs, grammairiens, linguistes, correcteurs, éditeurs de dictionnaire » avait notamment proposé des harmonisations lexicales (« charriot » avec deux « r » pour être similaire à « charrette »), le regroupement de noms composés (« portemonnaie » plutôt que « porte-monnaie ») et la suppression de certains particularismes, dont l’accent circonflexe.
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Morceaux choisis et entiers de l’entretien donné le 12 février 2016 au Figaro par Carrère d’Encausse, pour qui « on ne peut contraindre la langue à suivre quelle que voie que ce soit, comme le souhaiteraient certains idéologues, qui rêvent même d’imposer une orthographe phonétique » :
« Je n’ai pas compris les raisons qui expliquent l’exhumation d’une réforme de l’orthographe élaborée il y a un quart de siècle et où l’Académie française n’a eu aucune part, à l’inverse de ce que l’on a voulu faire croire. Je rappelle qu’à l’époque on réfléchissait à l’idée de simplifier l’apprentissage de l’orthographe par les élèves. Mais en 2016, nous sommes devant une situation radicalement différente : notre système éducatif s’est écroulé, et toutes les enquêtes internationales montrent que le savoir acquis par les élèves est en régression par rapport à d’autres pays, au point qu’un élève sur cinq quitte l’école sans savoir lire. »
« Le problème n’est donc plus d’offrir des facilités aux élèves, de conserver ou non l’accent circonflexe, mais de revoir totalement notre système éducatif. Le problème est que les jeunes Français ne connaissent plus leur langue. Il faut s’interroger sur les moyens d’apprendre une langue qu’ils ont trop souvent grand mal à lire et donc à comprendre. Même dans le domaine des mathématiques qui ont toujours été notre point fort, les enquêtes témoignent d’un net recul dont une des raisons est la difficulté qu’éprouvent les élèves à comprendre les énoncés des problèmes. »
« L’opinion refuse que la langue soit manipulée, instrumentalisée, et c’est très réconfortant. »
« Je dirais que la tragédie française est une inégalité croissante, née de l’effondrement de notre système éducatif. À coups de réformes qui affaiblissent le savoir, on va créer deux France : celle des enfants issus de familles qui ont une tradition culturelle et bénéficient donc de cet héritage, et celle des enfants peu favorisés en cela et pour lesquels l’enseignement dans son état actuel ne permet plus de combler cet écart. C’est à l’école que l’inégalité des conditions sociales disparaissait. »
« Elle ne joue plus ce rôle, et l’on ne peut se résigner à l’idée qu’une génération, voire deux, paie ce désastre éducatif. C’est un problème de justice sociale, de cohésion de la Nation. Cette cohésion, c’est la langue qui en est l’outil privilégié. Notre système éducatif doit être reconstruit en fonction de cet impératif d’égalité. Je veux cependant dire ici toute mon admiration pour le corps enseignant français qui tente désespérément, par un travail admirable, de sauver ce qui peut l’être. »