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Justice et Argent

Les arrangements « hors procès » sont monnaie courante aux Etats-Unis. Ce qui ne contribue guère à modifier le comportement – et souvent les méfaits – du système financier.

Ce qui tendrai même à stimuler certains comportements douteux ou déviants. Le dernier arrangement en date – ou settlement en anglais – étant celui touchant la Standard Chartered qui a accepté de payer 340 millions de dollars en échange de l’abandon de poursuites à son encontre par l’Etat de New York. Accusée de blanchiment d’argent pour avoir caché des transactions illicites avec l’Iran et, ce, pour des montants avoisinant 250 milliards, cet établissement peut se frotter les mains pour avoir fortement limité la casse… Pour autant, les dégâts causés au système financier dans son ensemble par ces arrangements discrets – souvent à la sauvette – sont incalculables. Pourquoi et en vertu de quelle grâce divine des banquiers véreux devraient-ils éviter la prison ?

Car la liste de ces transactions permettant d’éviter les affres d’un procès est interminable. Commençons par le règlement en masse (d’environ 2 milliards de dollars) offert par le procureur de New York en 2003 à 10 établissements suspectés de fausses valorisations attribuées à des actions internet, destinées à être vendues à leur clientèle. Cet arrangement ayant impliqué des noms comme Bear Stearns, Crédit Suisse, Goldman Sachs, Lehman Brothers, JP Morgan, Merrill Lynch, Morgan Stanley, Citigroup et UBS. A noter que ces titres étaient affublés par les collaborateurs de ces banques de l’appellation flatteuse de « p.o.s. », ou « piece of shit » !

Pourquoi ne pas poursuivre avec l’amende de 456 millions de dollars acquittée en 2005 par la société d’audit KPMG, accusée de fournir à ses clients des techniques et pistes pour frauder massivement le fisc américain. Soucieuses de ne pas entamer le prestige de KPMG, les autorités judiciaires US préférèrent éviter ainsi de la traîner en justice. Pourquoi ne pas évoquer la somme de 298 millions payée en 2010 par Barclays pour avoir violé des sanctions US et traité avec des pays « interdits », comme l’Iran, la Libye ou le Soudan.

Barclays, qui poussait la duplicité jusqu’à spécialiser un de ses centres (dans le Dorset), dédié à rivaliser d’imagination pour détourner les lois américaines. Barclays, que l’on retrouvera en 2012 au cœur du scandale dit du « Libor » et qui devra, cette fois, payer 453 millions de dollars. Cela vaut-il la peine de se souvenir de la cacahuète (de 52 millions de dollars) acquittée en 2011 par Royal Bank of Scottland pour avoir confectionné et vendu abusivement des titres pourris subprimes à l’Etat du Massachusetts ? Ou d’ING qui avait falsifié ses bases de données afin de permettre à l’Iran d’outrepasser les sanctions américaines, et qui a dû payer en finalité la somme de 619 millions. Mentionnons enfin l’amende de 550 millions payée en 2012 par Goldman Sachs, prix à payer pour étouffer le scandale et les malversations liés à « Abacus ».

Bref, il est évident que les amendes infligées à ces établissements sont infimes et sans commune mesure avec les profits générés par ces violations de la loi. Sachant que, en outre, ces pénalités sont assumées par l’actionnariat, parfois par les compagnies d’assurance, jamais par les directions générales ou par les conseils d’administration. Dès lors, comment ces arrangements pourraient-ils avoir une quelconque vertu coercitive, et encore moins préventive ? Du reste, les promoteurs de ces règlements hors procès sont-ils seulement en quête d’exemplarité ? Tant les bénéficiaires de ces « deals » considèrent ces transactions exactement comme leurs opérations boursières et financières, comme une autre manière de faire son « business ». Un peu comme un citoyen standard se résignerait à payer une amende de stationnement…

Un juge fédéral à Washington, Emmet Sullivan, n’at-il pas déploré que « nul ne traite avec sérieux la criminalité en col blanc » ? « Ils viennent au palais, plaident coupables, s’en vont chez eux et regardent la tété », devait-il poursuivre. Un autre juge fédéral, Jed Rakoff, n’a-t-il pas rejeté en 2011 le règlement de 285 millions passé entre le régulateur américain (la SEC) et Citigroup, accusée de spéculer contre des produits toxiques qu’elle vendait à ses clients ?

Comble de l’ironie : ayant ordonné un procès, Rakoff vit sa décision contestée en appel…par la SEC ! Ces « deals » en catimini sont bien-sûr légaux aux Etats-Unis. Ils diminuent et discréditent néanmoins la justice en provoquant frustration et dépit parmi la masse des citoyens, qui ne savent désormais que trop que l’ensemble du système et des infrastructures sont aux ordres du pouvoir de l’argent.

 






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