« Pour moi le luxe est une espère de protestation morale contre le conformisme de la société »
Edern, du nom de ce village breton où trônait le manoir de famille. De Jean-Edern, on peut dire qu’il a animé les décennies 70-80 de sa plume, de ses frasques, de ses coups, de folie et de génie. Un touche-à-tout de talent(s), un animateur télévisuel et mondain, un pur produit du milieu culturel parisien mais en même temps, un emmerdeur anti-système, ennemi de tout reniement.
Debout sur le pont, derrière un nuage d’embruns de plus en plus violents, ce capitaine des Lettres avait senti, 20 ans avant tout le monde, les changements profonds qui allaient ébranler la société française : l’américanisation (accélérée comme par hasard pendant l’ère « socialiste »), le marketing-roi, l’entreprise de défrancisation, la chute programmée du niveau culturel, et l’étranglement de la liberté d’expression. Un des premiers résistants de la démocratie socialo-sioniste.
« Le Pen représente beaucoup de Français de la France profonde. Il faut réconcilier Doriot et Thorez » (1991)
Il ne croyait pas au socialisme, mais il a aidé Mitterrand à gagner en 1981. Pour cela, il a démoli l’image de Giscard dans un pamphlet méchamment torché, Lettre ouverte au colin froid, dont le titre seul suffit à mettre le Tout-Paris de son côté. Malheureusement, l’écrivain ne sera pas récompensé par le poste qu’il guignait, celui de ministre de la Culture. Aurait-il été trop incontrôlable ? On peut imaginer qu’il n’aurait pas tenu le coup dans un univers technocratique aussi étouffant.
Mitterrand lui préférera Jack Lang, l’homme de tous les réseaux, bien en vue chez les gens de la scène théâtrale et musicale. Cette nomination déclenchera un changement à 180 degrés chez Edern, qui tirera à boulets rouges sur le président socialiste, menaçant de révéler son cancer et sa fille cachée. Finalement, il balancera le premier dans un articulet du Matin de Paris, journal socialiste aujourd’hui disparu, et négociera la non-divulgation du second (dans un manuscrit) contre l’arrêt des poursuites fiscales à son encontre. Avec notamment Tapie aux basses œuvres... Il sera l’homme « le plus écouté de France », parmi les 3 000 que Mitterrand fera mettre sur écoute, pas toujours par nécessité politique.
Mais Jean-Edern, ce n’était pas que bras de fer ou chantage. C’était aussi un vrai styliste, trop foutraque pour travailler en silence et en solitude et laisser une littérature à la postérité. C’est pour ça qu’il fera écrire les autres, dans sa maison d’édition (Éditions Libres Hallier) et dans L’Idiot international, son canard, son anti-Canard enchaîné qui envoyait du lourd. Ce fut un vrai titre subversif, avec des contre-pieds parfaits par rapport à la pensée dominante, qui ne s’appelait pas encore comme ça. Mais ça pointait. Et lui, malin comme un singe, mettait les pieds dans les plats avec une hargne réjouissante, arrosant socialistes au pouvoir et bourgeois ennuyeux de sa verve iconoclaste.
Le principe de L’Idiot, quelque chose comme la droite des valeurs... qui se perdaient. On y trouvait de Benoist, Soral, Guigne, Limonov (le petit voyou), de Negroni, Beigbeder (Lui), Taddeï, Matzneff, Martin-Chauffier (la plume de Match), Cau, Dutourd (Au bon Beurre), Vergès (Le Salaud lumineux), Nabe, Déon (Hidalgo s’opposerait au retour de ses cendres à Paris), Sportès (l’affaire Halimi), Houellebecq, Besson (Patrick, pas Philippe), Muray, Sollers (quand il était encore un peu antisioniste), Séchan (le frère à la plume acérée, pas le sioniste bourré), et Cruse.
Cruse ? Jean-Paul Cruse, le cégétiste, l’homme du contact électrique rouge-brun, qui fit couler tant d’encre dans la presse de gauche flippée. Le premier prototype de l’alliance entre la droite des valeurs et la gauche du travail. Un projet politique mille fois dénoncé, mais visiblement inarrêtable, parce qu’il semble inscrit dans les racines de la France. La France du pacte gaullo-communiste des années 60, mais d’avant aussi. Si les grands esprits se rencontrent, ils se sont rencontrés à L’Idiot, pas à Charlie Hebdo, l’hebdo qui reprit du service après la guerre du Golfe (1991), tapant sur des cibles mortes depuis longtemps, pour mourir une vingtaine d’années plus tard sous les balles de kalachnikov. L’Idiot, lui, mourra comme un journal doit mourir, pilonné par les procès, ce qui est un gage d’authenticité.
« L’abjection règne. Elkabbach aux mains moites de frousse… »
Il y a 20 ans mourait Edern-Hallier, dans des circonstances aussi troubles que sa vie : son appartement sera nettoyé aussitôt après sa mort dans une « chute » de vélo… laissant place à toutes les suspicions. Car il avait des ennemis. Avant tout le monde, il essuiera les plâtres des « associations » qui deviendront de plus en plus actives dans la répression des idées non-conformes.
Après Edern, le dernier des Mohicans, sortira une France peureuse, craignant le bâton oligarchique par-dessus tout. Un bâton qui se lèvera sur Dieudonné en 2004, puis sur toute la réinfosphère. On peut dire qu’Edern est mort d’avoir essayé de résister au rouleau compresseur des puissances du Mal qui allaient imposer leurs valeurs : la duplicité (il dénonçait les magouilles des prix littéraires, qui accouchaient de plus en plus de romans de merde), et le mensonge (L’Idiot le bien-nommé balançait sur les people et les médias connivents). Des puissances en réseau capables d’infliger une triple punition, financière, juridique et médiatique.
Edern sur Radioscopie de Chancel en 1988 :
Nous saluons aujourd’hui cet homme qui mélangeait dans une posture christique le romantisme d’une défaite annoncée et le charme de la ruine, exhibant les stigmates d’un corps meurtri par les juges du nouveau Sanhédrin.