« Le racisme (…) n’est qu’un élément d’un plus vaste ensemble : celui de l’oppression systématisée d’un peuple [1] »
Depuis plus de deux ans, la société israélienne est informée qu’un contrôle des naissances a été imposé aux femmes désirant émigrer de l’Éthiopie vers Israël. L’alternative était ainsi formulée ou accepter l’injection de Depro-Provera – masquée sous le terme vaccin – ou impossible de quitter l’Éthiopie.
Le documentaire, Vacuum, réalisé par Gab Gabay et diffusé à la télévision israélienne lors d’une émission du programme « Éducation » a révélé cet horrible chantage qui porte atteinte à l’un des droits fondamentaux non dérogeables des droits humains – la non-discrimination avec son corollaire l’égalité – et instaure une discrimination raciale institutionnalisée acceptant ainsi que ces futures citoyennes israéliennes soient traitées différemment des autres citoyennes israéliennes. 35 femmes, pendant 8 ans, ont été obligées d’accepter une injection de Depo-Provera, agent contraceptif de longue durée. Lors d’un recensement et d’analyses sur le nombre des naissances, il avait d’ailleurs été constaté que celles concernant les femmes d’origine éthiopienne avaient diminué. L’utilisation forcée du Depro-Provera en est l’explication.
Cette inacceptable et incroyable obligation vient en contradiction avec les articles 2 et 4 de la Basic Law [2] signée en 1992, par le président de l’État, Chaim Herzog, par le Premier ministre, Yitzhak Shamir et par le porte-parole de la Knesset, Dov Shilansky. Ces deux articles portent sur la préservation et la protection de la vie, du corps et de la dignité.
Mais elle vient aussi en contradiction avec les normes impératives internationales que l’État d’Israël a accepté de respecter, non seulement en les adoptant et en en implantant certaines dans sa loi nationale mais surtout depuis que cet État – par la résolution 181 [3] – a accepté de faire partie de la communauté internationale.
Le droit à la non-discrimination repose sur le postulat de l’égale dignité entre tous les êtres humains, affirmé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et codifié aussi bien dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de racisme – article 1 – et précisée aussi bien dans le Pacte international sur les droits civils et politiques – article 2.1 – et dans celui concernant les droits économiques, sociaux et culturels – article 2.2. Ces instruments ont été adoptés par l’État d’Israël, même s’il a fait quelques réserves qui ne concernent pas les articles cités en référence. Il faut rappeler que le CERD – dans ses recommandations générales 14(42) [4] – précise que la différence de traitement pourrait être considérée légitime, si les critères pour une telle différenciation ne sont contraires ni aux objectifs ni à la poursuite des objectifs de la Convention pour l’élimination du racisme et de la discrimination. Avec la volonté de contrôler, par chantage, les naissances données uniquement par les femmes venant d’Éthiopie, cette différence de traitement constitue bien, toujours selon les recommandations générales du CERD, une discrimination puisque les objectifs du contrôle des naissances ont été décidés sur la base de l’origine, de l’ethnie, de la couleur et de la « race », ce qui est contraire à cette convention.
En mars 2012, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’était alarmé des nombreuses discriminations dont sont victimes les Israéliens d’origine éthiopienne et particulièrement les femmes et avait fait des recommandations [5] à l’État israélien. Un mois auparavant, le Bureau des Nations unies pour la coordination des Affaires humanitaires, l’IRIN, avait publié un rapport [6] accablant concernant les difficultés économiques des Israéliens d’origine éthiopienne.
Peu de voix se sont élevées contre cette discrimination institutionnalisée, on peut entre autres citer l’ACRI. Depuis cette annonce, le directeur général du ministère de la Santé, Roni Gamzu, a demandé aux gynécologues de cesser d’administrer ces injections. Mais pour combien de temps ?
Cette information, révélée par la télévision et reprise par de nombreux papiers dans le Haaretz [7] mais aussi dans le Times of Israël [8] entre autres, montre l’état de perdition morale de la société israélienne dans laquelle il est possible de mettre en place une discrimination raciale inspirée par un état d’esprit purement ségrégationniste en raison d’une supposée différence de « race », cela contient implicitement que les femmes éthiopiennes pourraient altérer, en mettant des enfants noirs ou métissés au monde, la population israélienne. Il faut, à ce propos, préciser que le concept de race ne repose que sur une idéologie dont les fondements arbitraires et discriminants ne sont utilisés que pour justifier une différence culturelle par une différence physique.
Il ne faut pas se cacher le fait qu’une grande majorité de la société israélienne est globalement d’accord avec le maintien de l’ordre racial hiérarchique qui pourrait être remis en question par une transformation démographique et la place dans l’espace public occupée par les populations d’origine africaine. Aucun acteur politique conventionnel ne conteste cet ordre raciste. Au contraire, il existe un consensus politique contre ces minorités que l’on voudrait confiner à la périphérie des centres urbains, à la périphérie du pouvoir, à la périphérie de l’économie. Au temps de l’apartheid en Afrique du Sud, le gouvernement avait adopté le même système de contrôle des naissances par la mise en place de programme du même ordre. Ces programmes, ainsi que l’écrit Carol E. Kaufman [9], étaient considérés « par beaucoup de Noirs comme un symbole de la domination raciale, et ces attitudes étaient encouragées par de très nombreux rapports relatant des abus, de la désinformation et des contraintes, aggravant ainsi le coût social et individuel de l’usage de contraceptifs [10] ».
Devant cet État malade, aussi bien à l’égard de ces propres citoyens que des Palestiniens de 1948 et des Palestiniens des territoires illégalement occupés, il est plus que temps que les États-membres de la communauté internationale dénoncent les nombreuses exactions dont cet État se rend coupable et qu’ils mettent tout en œuvre pour qu’il en réponde devant les instances onusiennes et nationales. Se privant de ces possibilités, qui sont autant d’expression de leurs obligations internationales, les États-membres favorisent et renforcent la violation généralisée de l’ensemble des droits humains, concourent à la délégitimation des instances onusiennes et particulièrement de la Charte des Nations unies [11] et à la dérégulation de l’ensemble des normes impératives et à la déstructuration des relations internationales mais aussi réifient le faux concept « de pureté de la race » et renforcent l’institutionnalisation d’une xénophobie d’État.
Mireille Fanon-Mendes-France