Algeriepatriotique : La qualification de l’équipe nationale algérienne de football à la Coupe du monde a réveillé les démons du racisme et de la xénophobie en France. Pourquoi ?
Jean-Marie Le Pen : Ben, écoutez, non ! En tout cas, pas de ma part, parce que j’ai même tiré un coup de chapeau dans mon tweet à l’équipe d’Algérie. J’ai dit « bravo pour l’Allemagne et la France pour leur qualification et coup de chapeau pour l’équipe d’Algérie ! ». Parce que j’ai été tout à fait séduit et charmé par le match que l’équipe d’Algérie a livré. Ben oui, je suis comme ça, moi (rire).
Comment expliquez-vous le fait que les débordements des supporters après chaque victoire de l’Algérie ne surviennent qu’en France ?
Oui, cela est curieux. Je pense aussi qu’il y a une équivoque dans la double nationalité et qui fait qu’un certain nombre d’Algériens ou de Franco-Algériens qui se trouvent en France considèrent qu’il faut prendre une revanche et ils y sont, dans le fond, encouragés par l’attitude de nos gouvernants qui, dans ce domaine-là, sont très critiquables à mon avis. Évidemment que c’est choquant et ça contribue, bien sûr, à renforcer la méfiance qu’il peut y avoir à l’égard de la communauté des immigrés en France, puisque ce sont les seuls qui font des excès comme ça – enfin les seuls, ce sont des minorités, je suis d’accord, mais il n’en reste pas moins qu’elles ne sont pas condamnées comme elles devraient l’être par les milieux dont ces gens-là sont issus.
En France, la Droite comme la Gauche vous empruntent votre discours anti-immigrés pour maintenir une alternance au pouvoir entre l’UMP et le PS. Le Front national, lui, avance à grands pas depuis quelques années et menace l’ordre politique établi. Finalement, casser de l’Algérien, du Maghrébin et, plus généralement, de l’immigré, profite à tout le monde…
Ni le Front national ni moi ne sommes contre les immigrés. Le Front national est contre le phénomène de l’immigration massive et il met en cause la responsabilité des gouvernants de droite et de gauche. Pendant quarante ans, dans tous mes discours, j’ai dit que nous ne devions pas en vouloir aux immigrés ; nous ne devons en vouloir qu’à ceux qui sont responsables de cette politique d’immigration massive, à savoir les pouvoirs de droite et de gauche.
On a l’impression que la Droite et la Gauche sous-traitent pour le Front national : scandales judiciaires (les cas Cahuzac, Copé, Sarkozy…), échec des politiques économiques et sociales… Qu’en pensez-vous ?
(Rire). S’ils travaillent pour le Front national, c’est involontairement. Ils voudraient travailler pour eux-mêmes et il est bien évident que leurs erreurs politiques bénéficient au Front national dans la mesure où nous critiquons cette politique. C’est la règle du jeu, en quelque sorte. Mais, bien sûr, ces deux partis sont dans un état de décomposition – aussi bien l’UMP que le PS – et ceci va entraîner certainement, à mon avis, et je le souhaite, l’arrivée au pouvoir de patriotes français. J’ai dit : patriotes de tous les pays unissez-vous, il n’y a pas, donc, d’hostilité a priori, à ce que chacun se choisisse une patrie, mais si on choisit une patrie, eh bien, il faut la respecter.
Les partis de même obédience que le FN montent un peu partout en Europe. Pourtant, cette poussée de l’extrême droite n’est pas due à quelque effort de ces partis, mais plutôt à des facteurs exogènes qui leur profitent : crise économique, flux migratoires qui vont en s’amplifiant en raison de la dégradation de la situation en Libye et au Sahel…
En Europe, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le phénomène migratoire massif est consécutif à un double phénomène. C’est, d’une part, l’explosion démographique dans les pays du tiers monde et, d’autre part, la dépression démographique qui se produit en Europe qui conduisent à de véritables courants qui peuvent, d’ailleurs, devenir torrentiels à la suite de l’aggravation d’événements qui pourraient être consécutifs à l’augmentation constante de la population dans le monde. Ces réactions sont naturelles de la part de pays qui ressentent l’immigration comme un élément appauvrissant, puisque nous avons déjà des millions de chômeurs et que nous ne sommes pas du tout en mesure d’offrir du travail aux gens qui viennent de l’extérieur.
La France fait preuve d’un zèle inexplicable en Syrie et a participé directement au renversement puis à l’assassinat de Kadhafi en Libye. Pourquoi cet acharnement à vouloir imposer les islamistes dans ces pays, selon vous ?
Oui, c’est assez curieux, je dois dire. Comme vous le savez, j’ai eu, vis-à-vis de l’Irak et, d’ailleurs, de la Libye, des positions inverses de celles de nos dirigeants de droite et de gauche. Je pense qu’aujourd’hui, on doit regretter Saddam Hussein en Irak et regretter Kadhafi en Libye, parce qu’on sait très bien que très souvent, dans ces pays émergents et nouveaux, c’est le choix entre le chaos et la dictature. J’avais l’occasion de dire à des amis égyptiens : « Vous savez, quand on a un dictateur qui commence à vieillir ou qui s’est rempli les poches, il vaut mieux le garder parce que celui qui va lui succéder voudra aussi sa fortune et celle de sa famille. » En l’occurrence, ce n’était pas le cas de Kadhafi ni le cas de Saddam Hussein. Mais, enfin, encore une fois, dans ces pays régnait un ordre relatif qui était plutôt progressiste au point de vue social et maintenant ce sont la misère, les explosions de bombes, c’est un chaos sanglant. Et ça, je le pense et je le dis très clairement, ce sont les conséquences de la politique américaine. Je pense que ce sont les États-Unis qui poussent au renversement de ces gouvernements, disons forts – des gouvernements autoritaires dans ces pays – et à l’établissement d’une anarchie qui doit bénéficier à quelqu’un…
Quel bénéfice la France tire-t-elle de cette situation ?
Il n’y a pas de bénéfice pour la France. Je crois que la France n’a que des inconvénients à subir à cause de ce genre de politique et le rôle joué par les agents français dans l’affaire de la Libye me paraît hautement critiquable. C’est le moins qu’on puisse dire. J’ai souvent l’occasion de dire : il faudrait d’abord que les gens qui dirigent la France s’occupent des affaires de la France avant de s’occuper des affaires des autres, c’est le premier point. Ensuite, je pense que le rôle qu’a joué la France, en relais probablement de la politique américaine dans ce pays, a été maléfique.
Quel rôle a été assigné à Bernard-Henri Lévy ? Pour qui roule-t-il ?
C’est un « pousse au crime ». Ce philosophe autoproclamé, généralement, essaie de mettre le feu un peu partout en s’en protégeant quand même parce que, comme on a pu le voir dans les Balkans, les photos qu’on prend de lui sont prises généralement dans des studios sur un décor de combat (rire). Je n’ai aucune estime pour ce personnage.
L’Algérie participe pour la première fois depuis l’indépendance au défilé du 14 juillet. Quel commentaire faites-vous de cette démarche inédite ?
Je ne suis pas d’accord avec cette manière de faire. Parce que l’Algérie, à l’époque, était française, comme, d’ailleurs, le Vietnam appartenait à l’union française. Il n’y a pas de raison que ces nations participent à l’évocation d’un conflit qui a eu lieu il y a cent ans, auquel ils n’ont pas participé ès qualité. C’est une conception diplomatique du monde. Je crois qu’il ne faut pas mélanger les genres. Et puis, il faut laisser un petit peu de temps au temps. Il faudrait essayer d’améliorer les relations et peut-être aussi par une diminution du côté polémique de beaucoup de journaux algériens qui continuent à dire et à penser comme ils le faisaient il y a cinquante ans. Il faut aussi que les nations aient entre elles des relations convenables ou même cordiales, que justifierait un passé commun, quand même. On a beau dire, quoi qu’il en soit, nous avons un passé commun qui comprend des conflits et beaucoup d’autres choses. Moi, j’étais un partisan de l’Algérie française. J’ai été, je crois, le premier homme politique à présenter un Arabe à la députation à Paris en 1957, et le premier à faire élire une musulmane en 1986, au Conseil régional d’île de France. Donc, ma conception personnelle ne pouvait en aucune manière être qualifiée de raciste. J’étais un patriote français qui pensait que l’avenir de la France et de l’Algérie devait être commun. L’histoire en a décidé autrement, eh bien, j’en prends acte. Mais je ne me crois pas, pour autant, obligé de devenir un ennemi de ceux que je considérais comme mes compatriotes. J’accuse le gouvernement français de démagogie dans cette affaire. Je pense que les relations entre la France et l’Algérie n’ont pas besoin de manifestation de ce genre qui risque de choquer un certain nombre de gens. Je pense qu’il y a beaucoup d’occasions de manifester nos intérêts communs autrement que par des évocations historiques qui ne se justifient pas.
La guerre de Libération nationale – ce que vous appeliez, vous, les « événements d’Algérie » – a pris fin il y a plus d’un demi-siècle, mais ses séquelles demeurent à ce jour. L’Algérie et la France arriveront-elles à tourner la page de leur histoire mouvementée, selon vous ?
Je l’espère. Nous l’avons bien fait avec l’Allemagne et nous l’avons bien fait avec l’Angleterre, qui a été notre ennemi pendant des siècles. Alors, je pense que nous avons beaucoup plus de raisons d’avoir des relations convenables et même cordiales a priori, avec surtout des peuples qui sont maintenant très éloignés des conflits que nous avons connus. Je crois que chacun doit mettre du sien pour essayer de normaliser des relations qui sont forcément des relations de voisinage. Elles sont géographiquement, géopolitiquement et historiquement posées qu’on ne peut pas les contourner.
La France coloniale, dont vous avez fait partie, a commis des crimes immondes en Algérie. Beaucoup de voix s’élèvent pour exiger des excuses officielles de la France, mais la France refuse. Êtes-vous de ceux qui estiment que la France « n’a fait que son devoir » en massacrant un million et demi d’Algériens, en occupant une terre qui ne lui appartient pas… ?
Je ne vais pas entrer dans le débat sur les chiffres. Il y a eu une guerre qui était considérée comme une guerre de libération par un certain nombre de gens. Ce n’était pas la majorité du peuple algérien, il faut le dire. Mais, enfin, l’Histoire en a ainsi décidé. Le gouvernement français a décidé de se retirer et même de céder le Sahara qui n’était pas algérien à l’Algérie. C’est ainsi, c’est une donnée d’aujourd’hui. Eh bien, nous prenons les choses telles qu’elles sont. Mais je pense qu’il ne faut pas faire de délectation morose et se jeter les crimes ou les cadavres à la tête. Il n’y a pas eu que ça dans la relation de la France avec l’Algérie.
Le Front national arrive au pouvoir doucement, mais sûrement. Si votre fille Marine était élue présidente un jour, videra-t-elle la France de ses millions d’immigrés ?
Non, je pense qu’elle fera procéder à une clarification de la nationalité, en particulier de la double nationalité dont nous sommes adversaires. On peut très bien être en France résident étranger. Mais je pense qu’à un moment donné, il faut choisir. Je sais très bien que la religion musulmane tolère la bigamie et même la trigamie, mais, en France, non. Donc, il faut, à mon avis, que les gens soient ou algériens ou français, ou marocains ou français, et cela ne joue pas sur le sort des uns et des autres qui doivent être traités convenablement, mais qui ne seront pas des nationaux. C’est là où, me semble-t-il, il y a eu une équivoque que les gouvernements français ont favorisée et qui, à mon avis, est nuisible à l’équilibre général du pays.
La France a été bâtie grâce à la force des bras des immigrés venus du Maghreb et d’Afrique notamment, pour des raisons évidentes liées à son histoire coloniale. Ne trouvez-vous pas que la France est ingrate envers ses bâtisseurs d’hier ?
Vous savez, c’est tout à fait inexact. Ce ne sont pas les immigrés qui ont construit la France. Durant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, il y avait à peine quelques centaines de milliers d’immigrés en France, maghrébins en règle générale, sur des millions de travailleurs. Non, c’est une illusion.
Quelquefois, l’argument m’a été avancé par de jeunes immigrés qui m’ont dit : « Ce sont nos pères qui ont construit la France ! » Ce n’est pas exact ; c’était une petite minorité qui travaillait dans le bâtiment, dans l’industrie de l’automobile et dans des conditions qui ressemblaient presque à celles des militaires. Ils étaient dans des dortoirs collectifs et, généralement, ils réservaient la plus grande partie de ce qu’ils gagnaient à leurs familles qui sont restées chez eux.
Le mot intégration a été tellement galvaudé que plus personne ne comprend ce que cela signifie réellement. Comment Jean-Marie Le Pen définit-il ce mot ?
J’étais plus que pour l’intégration ; j’étais pour l’assimilation. Je pense que quand on entre dans un pays, il faut en accepter toutes les règles. Je comprends très bien qu’on préfère vivre d’une autre manière, mais, à ce moment-là, on ne vient pas dans ce pays, on va ailleurs. Il y a des gens qui ne supportent pas de vivre comme les Français ; ils peuvent aller en Arabie Saoudite, au Yémen ou ailleurs. Ils peuvent aussi rester chez eux, développer l’économie et la production de telle manière que le niveau social augmente plus vite que n’augmente la population. Je vous rappelle, tout de même, que l’Algérie est passée, en l’espace de cinquante ans, de 8 à 40 millions d’habitants et qu’elle est programmée pour les trente années qui viennent à 70 millions d’habitants. Hormis la ressource du pétrole, il n’a pas été créé grand-chose dans l’économie algérienne. C’est une critique un peu superficielle et élémentaire peut-être, mais je suis bien obligé de constater que si les gens quittent leur pays d’origine, c’est parce qu’ils en ressentent le besoin. Ils ressentent que dans le pays qui les a vus naître, ils n’ont pas la vie qu’ils souhaiteraient avoir. Moi, je pense que chacun doit vivre dans le pays où il est né et je crois que c’est un idéal qu’on peut partager tous.
La situation sociale et économique va en s’aggravant en France. Le Front national compte-t-il profiter de cette aubaine pour glaner encore des voix lors des futures échéances électorales ?
Mais bien sûr ! Nous sommes comme les médecins avec les malades. On nous dit que le Front national surfe sur les difficultés de la France, ben oui ! Les médecins vivent de la maladie de leurs patients. C’est sûr que dans la mesure où nous proposons des médecines de remplacement, si j’ose dire, eh bien, plus ça va mal sur le plan économique et social et plus encore politiquement, plus le Front national en bénéficie, en sachant très bien que quand nous prendrons le pouvoir, nous devrons relever la France de l’état où elle se trouve.
Interview réalisée par Karim Bouali.