J’ai rencontré dans les couloirs de l’Université de Bruxelles un homme qui placardait des affiches en arabe. Au bas de celles-ci, il était écrit en français : « Résidents syriens en Belgique », suivi d’un numéro de téléphone et d’une adresse e-mail. Ne sachant pas lire l’arabe, j’ai engagé la conversation pour savoir si le texte était politique et prenait position sur les événements qui frappent actuellement la Syrie.
« Assad pire que Hitler »
« Il s’agit d’un texte destiné à faire prendre conscience des massacres perpétrés par Bachar El-Assad », me répond le colleur d’affiches (appelons-le Nassim). « Le gouvernement syrien s’est lancé depuis plusieurs mois dans une violente répression pour étouffer les aspirations légitimes du peuple. Alors que celui-ci manifeste pacifiquement pour obtenir plus de liberté, l’Etat répond systématiquement par la force, causant la mort de milliers de gens. En Europe, vous avez connu Hitler, mais Assad est pire qu’Hitler ! ».
Voyant mon étonnement, Nassim poursuit : « Bachar el-Assad soutient le terrorisme international et constitue une menace permanente pour la paix dans le monde ! »
Je demande d’un air étonné : « La Syrie a donc déjà commis des attentats ? » « Bien sûr ! » répond Nassim. « Elle a par exemple fait assassiner Rafiq Hariri, l’ancien premier ministre libanais. »
Effectivement, Rafiq Hariri est mort dans un attentat-suicide en 2005. Cependant, son fils, bien que personnage-clé de l’opposition syrienne, a reconnu que les accusations imputant la responsabilité de cet acte à la Syrie étaient infondées (1)... Le seul exemple donné par Nassim – car il n’y en eut pas d’autres – était donc peu probant, surtout à propos d’un dictateur censé donner des leçons de barbarie à Hitler...
Guerre et recolonisation sont la solution
Que faire pour mettre un terme à la férocité de Bachar El-Assad ? Une seule solution pour Nassim : l’intervention militaire. Peu importent les risques encourus, il faut absolument en finir avec la dictature syrienne, au prix d’éventuelles victimes collatérales. « Les Syriens veulent tous un changement », jure Nassim. « Ceux qui disent le contraire mentent par peur de représailles. »
N’y aurait-il donc aucun partisan du régime ? « Si », répond Nassim. « Quelques-uns. Mais ils sont manipulés ! Vous savez, les Syriens ont une conscience politique très faible, ils ne sont pas capables de penser la démocratie comme les Français ou les Allemands, ça ne fait pas partie de leur culture. Je vous le dis, il vaudrait mieux que ce soit un Européen qui gouverne la Syrie. »
Il n’y a donc pas qu’en Libye que des nostalgiques des colonies font partie de la rébellion. De quoi se poser des questions sur les véritables intentions des pays occidentaux dans la région... Quoi qu’il en soit, je ne comprends pas comment un peuple, dont on vient de me dire qu’il manifestait nuit et jour pour plus de liberté, peut n’avoir aucune conscience politique et ne rien comprendre à la démocratie...
Une opposition fréquentant le beau monde
Nassim m’explique que ses idées sont minoritaires en Syrie. Exilé depuis trente ans en Europe, il a eu la chance d’y être confronté aux « valeurs occidentales ». Selon lui, deux réformes doivent être immédiatement accomplies en Syrie : d’abord ouvrir pleinement le marché aux entreprises internationales ; ensuite entamer une normalisation des relations avec Israël.
Visiblement, ce ne sont pas des revendications du même ordre que celles des manifestants égyptiens et des tunisiens, sortis dans la rue pour réclamer une meilleure répartition des richesses et plus de libertés politiques. En ce qui concerne Israël, plus particulièrement, il est peu probable que les Syriens acceptent une « normalisation des relations » tant que ce pays continuera d’occuper illégalement une partie de leur territoire (le Golan)...
D’où la question suivante : qui sont ces Européens que Nassim fréquente depuis trente ans et qui lui ont inculqué les « valeurs » de la démocratie ? « Je connais plein de gens importants ! », répond-il fièrement. « Notamment des hommes politiques haut placés. » J’apprends ainsi que son ex-femme, avec qui il est encore en très bons termes, siège au Conseil de l’Europe, ce qui lui a permis de fréquenter le gratin du monde politique européen. Nassim – vous l’aurez compris – n’est pas un réfugié de n’importe quel type. Il n’a pas grand-chose à voir avec le sans-papier tunisien qui fait chaque semaine le ménage chez mes voisins...
En Libye, l’OTAN est intervenue sous prétexte de protéger le peuple d’une sanglante répression. On sait aujourd’hui que les rebelles étaient lourdement armés, minoritaires et composés des franches les plus réactionnaires de la société. Bachar El-Assad a vu le sort qui a été réservé à Kadhafi et à ses proches. Est-il assez fou pour se lancer à son tour dans un « répression aveugle » contre des civils pacifiques, ou bien la situation est-elle plus complexe qu’on ne le dit ? Au vu de ceux qui, comme le « démocrate » Nassim, soutiennent les rebelles depuis l’étranger, on a de fortes raisons de s’interroger.