Quand ? C’est le seul mot qui revient quand on évoque l’abandon par Henri Proglio, PDG d’EDF, de son poste de président du conseil d’administration de Veolia Environnement. Nicolas Sarkozy a donné la réponse, lundi 25 janvier, dans son entretien sur TF1. "Il nous a demandé, et je l’ai accepté, que, pour quelques mois, il puisse faire la transition à Veolia", a indiqué le président de la République. Une fois cette phase achevée, a-t-il ajouté, "il se consacrera à 100 % à ses fonctions" à la tête d’EDF.
Les deux premiers mois de M. Proglio ont été marqués par la polémique sur sa double casquette et par celle qui l’a opposé à Anne Lauvergeon, la présidente du directoire du groupe nucléaire Areva, sur le pilotage de la filière nucléaire française. Ces sujets ont remisé au second rang le plus gros dossier, le débat sur la loi "NOME", - celle-ci prévoit une "nouvelle organisation du marché de l’électricité". Le patron d’EDF est très hostile à un projet qui affaiblira son groupe.
Sous la pression de la Commission européenne, la France va renforcer la concurrence dans l’Hexagone, où EDF détient encore 95 % des parts de marché. Mi-septembre 2009, le premier ministre, François Fillon, a écrit à la commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, pour indiquer qu’il allait prendre une mesure radicale : "Permettre à tous les fournisseurs d’électricité en France de s’approvisionner auprès d’EDF aux conditions économiques du parc nucléaire historique." En clair, autoriser GDF Suez, Poweo ou Direct Energie à acheter à bon prix une partie de ses kilowattheures. Cette réforme doit entrer en vigueur le 1er juillet 2010. C’était la condition pour que Bruxelles mette fin à certaines procédures contentieuses, notamment celle qui vise à condamner la France pour le maintien des tarifs réglementés (fixés par l’Etat).
Quelle part de production nucléaire EDF devra-t-il céder : 25 % ? 30 % ? Il en remet déjà près de 20 % sur le marché, notamment via des enchères, assure-t-on chez l’électricien. Et à quel prix sera-t-il autorisé à la vendre ? Les négociations entre EDF et le gouvernement, qui avaient débuté avec Pierre Gadonneix, le prédécesseur de M. Proglio, s’annoncent tendues. M. Fillon estime qu’une véritable concurrence permettra de "faire émerger des offres innovantes", notamment pour mieux gérer la consommation d’électricité et la disparition des tarifs réglementés en 2015 pour les industriels.
"Mise à mort"
Jean-Louis Mathias, directeur général délégué d’EDF, estime que "cette loi sera la plus importante pour l’organisation du secteur électrique en France depuis 1946", année de la création d’EDF. Une déclaration neutre qui cache, en fait, l’inquiétude des dirigeants du groupe. Dès sa nomination, M. Proglio a fait savoir que le projet - issu des travaux de la commission ad hoc dirigée par Paul Champsaur - ferait peser une lourde hypothèque sur les comptes et la valeur même de son groupe.
"Soyons clairs. Je ne vois pas de raison de permettre à des opérateurs qui n’ont pas investi et qui n’assurent pas les risques d’exploitation de nos centrales d’acquérir l’électricité produite par EDF à son prix de revient, écrivait-il en janvier à ses actionnaires. Je suis décidé à faire des propositions pour bousculer cette perspective." Dès novembre 2009, il dénonçait en privé "une mise à mort d’EDF" et évoquait "des dizaines de milliards de perte sur dix ans"
Les tarifs de l’électricité devront être augmentés pour financer les investissements d’EDF, mais la réforme risque d’accentuer le mouvement. En isolant l’activité nucléaire, c’est sa filialisation que redoutent les syndicats. Et vendre de l’électricité à bon prix aux concurrents pourrait les inciter à moins investir, faisant reposer la charge de la construction des nouvelles infrastructures sur l’opérateur public, soulignent la direction comme les syndicats.
Dans cette période troublée, M. Proglio a de fait trouvé un soutien de poids : les syndicats d’EDF, notamment la CGT. Et celui des syndicats de Veolia, qui dénoncent dans un communiqué commun le "lynchage médiatique" de leur ex-patron. Si la CGT rappelle son opposition au double mandat et à un rapprochement EDF-Veolia, elle dénonce "un emballement médiatico-politique" qui cache les enjeux de la réforme.
Mais cette réforme autorise coups bas et fuites. Pour compenser les pertes entraînées par la loi NOME, EDF préparerait une hausse de 24 % sur cinq ans des "tarifs bleus" (résidentiels), indiquait Les Echos du 25 janvier. Démenti "catégorique" de la direction : "Jamais M. Proglio n’a proposé cela au gouvernement." Dans son entourage, on indique que la publication de cette note interne "n’arrive pas par hasard" et l’on se demande "à qui profite cette fuite".