Dans mon dernier livre Quel Juif errant, j’explore le continuum idéologique, spirituel et politique entre la politique identitaire juive et la théorie gay. Hier, Stephen Fry, un dramaturge juif gay britannique, nous a fourni l’occasion d’examiner l’affinité politique et spirituelle étroite entre la politique identitaire juive et l’appel LGBT.
Dans une lettre ouverte au premier ministre David Cameron et au Comité International Olympique, Fry a assimilé la politique anti-gay de Poutine à la haine des juifs d’Hitler. L’argument de Fry mérite une certaine attention.
Hitler, nous dit Fry, « a interdit aux juifs l’accès à la titularisation ainsi qu’à la fonction publique, il a fait en sorte que la police ferme les yeux sur les passages à tabac, les vols ou les humiliations portés sur eux, fait brûler et bannir des livres écrits par eux. Il affirmait qu’ils "polluaient" la pureté et la tradition de ce que c’était d’être Allemand ... »
Selon Fry, « Poutine répète sinistrement ce crime insensé, mais cette fois contre les LGBT russes. Les passages à tabac, les meurtres et les humiliations sont ignorés par la police. Tout argument ou discussion saine sur l’homosexualité est contraire à la loi. »
Les analogies historiques sont des territoires dangereux, surtout quand les connaissances nécessaires et même élémentaires font défaut. Inutile de dire que je m’oppose à toute forme d’abus contre les droits de l’homme envers les Juifs, les LGBT, les Palestiniens ou n’importe qui d’autre. Cependant, je m’oppose également à l’émergence de la culture foireuse de déclarations et de slogans vides pour lesquelles Fry est, malheureusement, un défenseur de premier plan.
Fry, pour des raisons évidentes, évite la question la plus nécessaire : qu’est-ce qui a conduit au traitement épouvantable des Juifs dans le 3ème Reich ? Sans surprise, il évite aussi une question similaire quand il s’agit de l’antagonisme de Poutine envers les LGBT. Et pourtant, si nous voulons vraiment lutter contre l’oppression, ce sont les questions les plus cruciales à poser et à résoudre. Je dirais que la différence entre les recherches sur l’Holocauste et l’histoire proprement dite est que les études portant sur l’Holocauste sont principalement concernées par l’étude de la douleur (elle-même), tandis que l’histoire essaye de comprendre les événements qui ont amené à cette souffrance.
Les Juifs qui veulent empêcher aux juifs de futures souffrances doivent examiner de près les circonstances répétées qui ont transformé l’histoire juive en une chaîne de Shoahs. Ils devraient lire L’antisémitisme, son histoire et ses causes de Bernard Lazare au lieu de lire Anne Frank ou le Jewish Chronicle. De même, les théoriciens homosexuels devraient examiner de façon critique ce à quoi exactement les Russes s’opposent dans le discours LGBT. Est-il possible que Poutine considère le mouvement LGBT comme une forme d’intervention occidentale grossière ? Peut-être que Stephen Fry devrait répondre à cette question avant de faire à nouveau du lobbying pour un boycott international.
Si Fry est vraiment intéressé par les analogies historiques, il peut certainement détecter une similitude entre son propre appel à boycotter la Russie et le fameux appel à la guerre contre l’Allemagne de la Judée en 1933. [1]
Je ne suis pas impressionné par l’analogie historique de Fry, mais je me permets de suggérer au dramaturge que pas mal d’historiens font en fait le lien entre l’appel juif de 1933 pour le boycott de l’Allemagne et la souffrance juive qui a suivi. Je suis persuadé que Fry ne voudrait pas être associé, en tant que catalyseur, avec d’éventuelles souffrances à venir des LGBT russes.
Les sionistes ont tendance à comparer leurs ennemis à Hitler - Saddam Hussein, Mahmoud Ahmadinejad et Yasser Arafat se sont tous retrouvés assimilés à Hitler. Fry, la vedette activiste et humaniste est en train de faire exactement la même chose avec Poutine. « Il (Poutine) fait des homosexuels des boucs émissaires, tout comme Hitler l’a fait avec les Juifs. » Est-ce une coïncidence que Fry utilise les mêmes tactiques Hasbariennes ?
Beaucoup s’accordent à penser que la politique anti-gay de Poutine est problématique et inacceptable, et pourtant, c’est la philosophie interventionniste occidentale que Fry exhibe dans son appel au boycott qui alimente en fait l’intolérance Russe et conduit à une telle politique.
Fry dit à propos de lui-même « Je suis gay. Je suis un Juif. Ma mère a perdu plus d’une douzaine de membres de sa famille à cause de l’antisémitisme d’Hitler. Chaque fois qu’en Russie un adolescent gay est contraint au suicide, une lesbienne « correctivement » violée ... le monde est diminué et pour ma part, je pleure à nouveau de voir l’histoire se répéter. »
Je compatis avec Fry et respecte son inquiétude, mais je me demande si Fry pleure aussi à l’appel de Bernard Henri Levy pour les guerres interventionnistes morales « en tant que Juif », quand Wolfowitz a « libéré » le peuple irakien.
Comment M. Fry se sent quand il entend parler des crimes répétés commis par l’État juif en son nom ? Comment se sent-il quand les siens sont en train de violer le sol, les cœurs et les esprits palestiniens ?
Gilad Atzmon, 8 août 2013