La Cour européenne des droits de l’homme juge que la Suisse a violé le droit à la liberté d’expression du nationaliste turc Dogu Perinçek en le condamnant pour discrimination raciale.
Le nationaliste turc Dogu Perinçek obtient gain de cause à Strasbourg. La Cour européenne des droits de l’homme juge que la Suisse a violé le droit à la liberté d’expression du nationaliste turc en le condamnant pour discrimination raciale. Berne a trois mois pour faire recours auprès de la Grande Chambre.
Président du parti des travailleurs de Turquie, Dogu Perinçek avait nié publiquement l’existence du génocide arménien. Il avait été condamné en mars 2007 par le Tribunal de police de Lausanne à 90 jours-amende avec sursis pour discrimination raciale et 3 000 francs d’amende. Un verdict confirmé par le Tribunal fédéral.
Selon la Cour européenne, Dogu Perinçek n’a pas commis d’abus de droit en qualifiant de « mensonge international » l’idée d’un génocide arménien. Elle rappelle que « le libre exercice du droit de débattre ouvertement de questions sensibles et susceptibles de déplaire est l’un des aspects fondamentaux de la liberté d’expression ».
Notion de droit
Ce droit « distingue une société démocratique, tolérante et pluraliste d’un régime totalitaire ou dictatorial ». La Cour ne se prononce pas sur la qualification juridique du génocide arménien. Elle estime que la notion de « génocide » est « une notion de droit étroitement définie, dont la preuve est par ailleurs difficile à apporter ».
La Cour doute qu’il puisse y avoir un consensus général sur le génocide arménien. Une vingtaine d’États seulement l’ont reconnu sur les 190 que compte la communauté internationale.
La Cour distingue clairement cette affaire de celles qui portent sur la négation des crimes de l’Holocauste. Dans ces affaires, les personnes en cause avaient nié des faits historiques parfois très concrets comme l’existence des chambres à gaz.
La négation de l’Holocauste est aujourd’hui le moteur principal de l’antisémitisme. Il s’agit d’un phénomène contre lequel la communauté internationale doit faire preuve de vigilance.
On ne saurait, selon la Cour, affirmer que le rejet de la qualification juridique de « génocide » pour les événements tragiques intervenus en 1915 et dans les années suivantes dans l’Empire ottoman puisse avoir les mêmes répercussions.
La Suisse n’a pas prouvé qu’il existerait chez elle un besoin social plus fort que dans d’autres pays de punir une personne pour discrimination raciale sur la hase de déclarations contestant la simple qualification juridique de « génocide » pour ces événements.
La Cour européenne rappelle aussi que Dogu Perinçek, s’il avait été condamné à Lausanne, avait été acquitté par le Tribunal de Berne-Laupen. Elle se réfère aussi à la décision du Conseil constitutionnel français qui, en février 2012, a déclaré anticonstitutionnelle la loi visant à réprimer la contestation de génocides reconnus par la loi.
La Cour européenne relève aussi que le Tribunal fédéral avait lui-même admis qu’il n’existe pas d’unanimité au sein de la collectivité quant à la qualification juridique des atrocités commises en 1915.
Motifs insuffisants
En conclusion, la Cour juge que les motifs avancés par les autorités suisses pour justifier la condamnation de Dogu Perinçek ne sont pas tous pertinents. Considérés dans leur ensemble, ils sont insuffisants. La condamnation ne répondait pas à un « besoin social impérieux » et n’était pas nécessaire pour la protection de l’honneur et les sentiments des descendants des victimes des atrocités qui remontent aux années 1915 et suivantes.
À titre de réparation financière, Dogu Perincek avait demandé 20 000 euros pour le dommage matériel et 100 000 euros pour compenser le tort moral. La Cour a rejeté les deux demandes jugeant que le constat de violation suffit à remédier au tort que la condamnation a pu lui causer.