Alimuddin Usmani : Bruno Gollnisch, les événements à propos de la Syrie s’accélèrent. Le président François Hollande a annoncé qu’une action militaire en Syrie serait prise « dans les prochains jours ». Il a également reçu jeudi dernier, en grande pompe, l’opposition au gouvernement syrien à l’Élysée. Quelle est votre réaction face à cette prise de position ?
Bruno Gollnisch : Je pense qu’il s’agit d’une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures d’un État souverain, dont naguère encore nous recevions le chef d’État, Bachar el-Assad, à la tribune officielle du 14 juillet. Il y a dans ce pays une guerre civile, alimentée pour une bonne part depuis l’étranger. Le principe de non-ingérence, principe traditionnel du droit international, peut paraître insatisfaisant. Il a pour but cependant d’éviter les contagions et les extensions de ce genre de conflits. Un peu comme le commandant d’un navire qui ferme les portes étanches d’un compartiment gagné par l’incendie ou par une voie d’eau, afin d’éviter que le sinistre n’entraîne tout le navire à sa perte. Les atteintes portées à ce principe ces dernières années, toujours sous des prétextes « humanitaires », ont révélé des conséquences désastreuses la plupart du temps. Il faut en revenir au droit international classique, et rompre résolument avec cet interventionnisme brouillon dont les peuples ne mesurent, ni les causes réelles, ni les conséquences possibles.
L’inquiétude d’une intervention militaire américaine gagne une grande partie de la population syrienne. La population chrétienne craint notamment qu’un changement de régime n’amène à une catastrophe d’une ampleur sans précédent. Quel message souhaitez-vous adresser aux chrétiens de Syrie ?
Le régime syrien respectait indiscutablement leur liberté. Peut-être cependant leur faut-il éviter de paraître liés à un camp dans cet affrontement. Je crois qu’il leur faut être prudents. Je salue leur courage et leur volonté de garder leur foi et leur identité. La disparition des chrétiens du Proche-Orient (Syrie, Irak, Liban, Jordanie, Égypte, etc.) serait un recul en arrière de trois mille kilomètres pour notre civilisation.
Les critiques de la politique extérieure américaine pensent que les États-Unis mènent des guerres d’agressions sous prétexte de venir en aide à la population civile. Un document datant de 1983 démontre que Washington a assisté Saddam Hussein dans le gazage des troupes iraniennes. Où vous situez-vous par rapport à ces critiques ?
Il est certain que les Occidentaux ont puissamment aidé l’Irak dans sa guerre contre l’Iran. Dans le cas présent, en Syrie, il semble bien qu’il ait été fait usage de gaz Sarin, mais par qui ? On peut penser ce qu’on veut de Bachar el-Assad, mais c’est un homme rationnel. Il était en train de gagner sur le terrain. Et c’est ce moment qu’il aurait choisi pour utiliser le gaz, alors que toutes les déclarations occidentales, et américaines en particulier, avaient annoncé à l’avance que c’était la « ligne rouge », autrement dit, un casus belli ? Cela me paraît incohérent. Un adage latin nous dit : « Is fecit cui prodest. » En français on dit également : « Cherche à qui le crime profite. » Ce qui est certain, c’est qu’il ne profite pas à Bachar. Certes, il détient des gaz de combat. Mais on sait que leur emploi est très facile. Au Japon, une petite secte, Aum Shinrikyô, en a fabriqué pour son compte et utilisé en 1995 dans le métro de Tôkyô, faisant douze morts et cinq mille cinq cents blessés. La police japonaise en a alors retrouvé cinquante tonnes, de quoi tuer six millions de personnes. Je ne dis pas pour autant que l’usage vient de la rébellion ; je dis qu’à l’heure actuelle nous n’avons pas de certitudes. En tous cas, je pense que le gouvernement de Washington, qui a fait périr de faim des centaines de milliers d’enfants irakiens par l’effet d’un blocus impitoyable durant des années, n’est pas qualifié pour donner des leçons de morale sur ces sujets.
Jean-Marie Le Pen a participé en tant qu’officier à la guerre de 1956 en Égypte et à la guerre d’Algérie (1954-62). Il s’est farouchement opposé à la guerre contre l’Irak, la Serbie ou la Libye. BHL ou Kouchner, qui n’ont jamais pris les armes, ont toujours poussé la France à intervenir militairement partout dans le monde (notamment au Kosovo, en Irak, en Afghanistan, au Darfour, en Libye et en Syrie). Que vous inspirent de tels personnages ?
C’est une constante de ces personnages. Ils ne sont jamais avares du sang des autres. Et ceci, toujours au nom des grands sentiments. Quitte, le reste du temps, à restreindre les crédits de la défense, à critiquer les valeurs militaires, etc.
Ce qui me choque aussi, c’est la prétention à « punir » Assad, par des « frappes limitées ». On présuppose donc que la Syrie n’aura d’autre choix que de subir ? Il n’y aura pas de riposte possible ? Et quand Bachar répond que cela portera atteinte aux intérêts français, ils s’indignent de ses « menaces ». De qui se moque-t-on ? Ces histoires de « guerre limitée » me font penser à juillet 1914. L’empire austro-hongrois a voulu « punir » la Serbie, dont le gouvernement était selon lui coupable de complicité dans l’assassinat de son archiduc héritier, à Sarajevo. Ce devait être une guerre « limitée ». En août, l’Europe entière s’embrasait, et c’était le début de la guerre mondiale !
Alain Soral pense que l’oligarchie bancaire mondialiste joue à un jeu pervers, qui consiste à désigner les groupes salafistes comme ennemis tout en assurant leur financement, notamment via le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Cette stratégie aurait déjà été utilisée avec Hitler lors de la Deuxième Guerre mondiale. Quel est votre regard en tant qu’historien sur cette analyse ?
Je me garderai bien de prendre position sur ces sujets, car je ne dispose pas d’informations en qualité et nombre suffisants. C’est une hypothèse intéressante.
Ce qui est certain, c’est que les politiques occidentales sont parfaitement incohérentes. On a détruit le régime baasiste en Irak, et d’une façon plus générale le nationalisme arabe, qui était un rempart contre l’islamisme radical, au nom de la lutte contre ce même islamisme, dont les bases se trouvaient plus à New York, à Londres et à Hambourg qu’à Bagdad ! On invite Kadhafi à Paris, puis on participe en direct à l’organisation de son assassinat. On prétend combattre le salafisme, et l’on reste au mieux avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui en sont les principaux bailleurs de fonds. Est-ce qu’il s’agit d’erreurs grossières, ou de machiavélisme ? Avons-nous affaire à des éléphants piétinant avec lourdeur ce magasin de porcelaine délicat qu’est l’Orient ? Ou à des comploteurs subtils qui y jouent un coup de billard à trois bandes ? J’hésite encore. La fréquentation des milieux politiques depuis un quart de siècle m’a appris qu’il ne faut jamais exclure l’hypothèse de la bêtise. Dans la deuxième hypothèse, celle des calculs cyniques, il faut reconnaître que ces combinaisons savantes et ces stratégies tortueuses ont généralement manqué leur but. Mais à quel prix pour les peuples !