Cinq personnes ont été tuées dimanche dans des heurts entre partisans et adversaires du président islamiste égyptien Mohamed Morsi, en marge de manifestations monstres à travers tout le pays à l’appel de l’opposition pour réclamer son départ.
L’armée estime à « plusieurs millions » le nombre de manifestants anti-Morsi descendus dans la rue, un an jour pour jour après son investiture, a déclaré à l’AFP une source militaire.
Il s’agit « de la plus grande manifestation dans l’histoire de l’Égypte », a ajouté cette source sous couvert de l’anonymat.
Une personne a été tuée à Beni Suef et trois autres dans la province d’Assiout, au sud du Caire, au cours d’affrontements qui ont aussi fait des dizaines de blessés aux abords de locaux des Frères musulmans, selon les services de sécurité.
Au Caire, le QG de la confrérie islamiste, dont est issu M. Morsi, a été attaqué avec des cocktails Molotov et des tirs de chevrotine. Un homme de 26 ans a été tué d’un tir dans la tête, et plusieurs dizaines d’autres personnes blessées, selon une source médicale, dans ces heurts très violents qui se sont poursuivis tard dans la nuit.
« Je suis ici parce que Morsi, pour qui j’ai voté, m’a trahi et n’a pas tenu ses promesses. L’Égypte va être libérée une nouvelle fois à partir de Tahrir », affirmait Mohammed Samir, venu de Mansourah, dans le delta du Nil, pour manifester dans la capitale.
Les manifestants se sont également massés aux abords du palais présidentiel, dans le quartier d’Héliopolis, et sur d’autres places de la capitale, en scandant « dégage » et « le peuple veut la chute du régime ».
Des manifestations anti-Morsi ont aussi lieu à Alexandrie (nord), deuxième ville du pays, à Menouf et Mahallah, dans le delta du Nil, ainsi qu’à Port-Saïd et Suez, sur le canal du même nom, ou encore dans la ville natale de M. Morsi, Zagazig, au nord-est du Caire.
La présidence a réagi en affirmant que « le dialogue était la seule façon de parvenir à une entente » et qu’elle était « ouverte pour lancer un véritable et sérieux dialogue national ».
Mais la principale coalition de l’opposition égyptienne a appelé les manifestants à rester dans la rue jusqu’à la démission du régime « dictatorial » du président Morsi, accusé de gouverner au seul profit des islamistes et de laisser l’économie s’effondrer.
Redoutant de graves troubles, l’armée et la police se sont déployées à travers le pays pour renforcer la protection des installations vitales, notamment le canal de Suez. Les militaires se sont dit récemment prêts à intervenir si le climat dégénérait, après que des heurts eurent déjà fait huit morts, dont un Américain, dans les jours qui ont précédé les rassemblements de dimanche.
« Jour du jugement »
Non loin du palais présidentiel, des militants islamistes campent depuis vendredi dans le quartier de Nasr City pour défendre la « légitimité » du premier chef de l’État égyptien librement élu. Ils étaient 25 000 dimanche soir, selon l’armée.
Une personne a également été tuée par des tirs lors de violents affrontements devant le siège du mouvement des Frères musulmans, dont est issu le président Mohamed Morsi. La victime, un homme de 26 ans, a été touchée à la tête, et plusieurs dizaines d’autres personnes ont été blessées dans ces affrontements survenus lors de l’attaque du bâtiment, dans le quartier du Moqqatam, dans l’est du Caire. Les heurts se sont poursuivis dans la nuit avec notamment des jets de cocktails Molotov contre l’immeuble qui ont provoqué un début d’incendie. Des militants des Frères musulmans ont cherché à repousser les attaquants avec des tirs de chevrotine. Plus tard dans la soirée des tirs d’armes automatiques ont été entendus aux abords du bâtiment. Environ 150 « voyous non-identifiés » ont attaqué ces locaux en lançant des cocktails Molotov et des pierres, et en tirant de la chevrotine, a indiqué dimanche en début de soirée le porte parole de la confrérie Gehad al-Haddad.La télévision a également montré des images du bâtiment attaqué par des dizaines de personnes.
Cette journée constitue le point d’orgue de la campagne Tamarrod (rébellion en arabe), le mouvement à l’origine des appels à manifester massivement pour réclamer le départ de M. Morsi le jour même de l’anniversaire de son investiture.
Tamarrod, soutenu par de nombreuses personnalités et mouvement de l’opposition laïque, libérale ou de gauche, assure avoir recueilli plus de 22 millions de signatures pour une présidentielle anticipée, soit plus que le nombre d’électeurs de M. Morsi en juin 2012 (13,23 millions).
Après un an d’une présidence mouvementée, déjà marquée par plusieurs crises, M. Morsi vit son « Jour du jugement », titraient dimanche certains journaux. L’instabilité persistante en Égypte, pays le plus peuplé du monde arabe avec plus de 80 millions d’habitants, pèse lourdement sur une économie handicapée par une inflation et un chômage en hausse ainsi qu’une chute de sa monnaie.
Les adversaires de M. Morsi dénoncent une dérive autoritaire du pouvoir destinée à instaurer un régime dominé par les islamistes, ainsi que son incapacité à relancer l’économie. Ses partisans en revanche soulignent qu’il puise sa légitimité dans la première élection présidentielle libre de l’histoire de l’Égypte. Ils accusent l’opposition laïque de faire le jeu des nostalgiques de l’ancien régime.
Samedi, le président américain Barack Obama demandait à M. Morsi et à l’opposition d’engager un dialogue « plus constructif ».
Craignant des dérapages, le département d’État a annoncé le départ d’une partie de son personnel diplomatique et plusieurs pays, dont la France et la Grande-Bretagne, ont diffusé des consignes de prudence à leurs ressortissants.
La crainte d’une aggravation de la crise provoque en outre depuis plusieurs jours une ruée des automobilistes sur les stations-service, et contraint de nombreux Égyptiens à stocker des vivres. Dimanche, premier jour de travail de la semaine, de nombreuses entreprises et bureaux étaient fermés par mesure de sécurité.