Fondée par l’idéologue Alain Soral, cette association vante la nation, l’honneur et la virilité, mais se défend (mal) d’être d’extrême droite.
Chez Egalité & Réconciliation, chaque parti en prend pour son grade, qu’il s’agisse du NPA ou de l’UMP. La revendication d’« E&R », c’est la « réconciliation nationale ». Dans l’optique de dépasser les clivages partisans, ethniques ou religieux, Egalité & Réconciliation prétend être une association qui rassemblerait plus de 800 « patriotes » en France. Sa devise : « Gauche du travail, droite des valeurs. »
Si ses membres refusent les étiquettes politiques, certains ne manquent pas d’en créer pour eux. Perçue comme une association d’extrême droite par le collectif antifasciste rennais, Egalité & Réconciliation fait tache dans une ville comme Rennes, connue pour sa modération politique. Le 25 mai 2011, une altercation violente opposait ses membres à des militants d’extrême gauche, devant ce même café où nous les avons rencontrés.
Pas de photo, « par sécurité »
Les opposants (gauchistes) à E&R protestaient alors contre la venue de l’écrivain Laurent James, mais le face-à-face a vite dégénéré. Il s’est soldé par l’intervention des patrons du bar, munis de flashballs. Les deux gérants ont récemment fait l’objet d’un procès, pour emploi illégal de matériel policier. Depuis, les forces de l’ordre leur ont vivement conseillé de ne plus accueillir les réunions d’E&R.
Lors de nos entretiens, aucun militantn’a souhaité être pris en photo, « par sécurité ». Quant à leur porte-parole, Guytan, 27 ans, il se présente toujours sous ce pseudonyme, jamais sous son vrai nom.
Bien qu’ils se fassent volontairement discrets, les membres d’E&R estiment n’avoir rien à se reprocher.
Pour Kévin, 31 ans, la comparaison avec l’extrême droite tiendrait au seul fait qu’Alain Soral ait été adhérent au Front National. Depuis que ce dernier a créé Egalité & Réconciliation en 2007, c’est sous sa coupe que l’identité du mouvement s’est cristallisée.
L’essayiste à la réputation sulfureuse a été militant du Parti communiste dans les années 1990, pour finalement se ranger derrière Jean-Marie Le Pen en 2005. Deux années plus tard, il devient membre du comité central du Front national, mais quitte le parti en 2009.
Depuis, il collectionne les casquettes. Soutenu par Dieudonné, avec qui il se lie d’amitié, Soral présente une liste « antisioniste » aux élections européennes de 2009.
Tantôt journaliste pour le bimensuel patriote Flash, tantôt écrivain, il enchaîne les publications, sur papier comme sur la Toile. En 2011, il publie l’une de ses œuvres phares, dont les fondements idéologiques sont largement repris par les membres d’E&R : « Comprendre l’empire : demain la gouvernance globale ou la révolte des nations ? ».
Aujourd’hui instructeur de boxe anglaise, il continue à railler les politiques à travers les nombreuses vidéos qu’il publie sur le Web. Des vidéos qui attirent chaque jour un peu plus de sympathisants.
Alain Soral, leur maître à penser
La majorité des membres d’E&R admettent ainsi que c’est avant tout le discours et la personnalité de ce maître à penser qui ont retenu leur attention. Kévin a adhéré à l’association il y a deux ans, après avoir lu un article d’Alain Soral, puis regardé ses vidéos :
« Tout ce qu’il dit ou fait ne me plaît pas, mais il m’a permis de mettre un fil conducteur à mes idées. »
A l’image du parcours de Soral, les jeunes d’E&R sont tous passés par des expérimentations politiques diverses, voire opposées.
Eduqué par un père de la droite gaulliste, « mais pas pour autant anticommuniste », Kévin estime avoir « toujours eu une conscience politique ».
Alors qu’il ne s’était jamais retrouvé dans un parti auparavant, il a récemment adhéré à l’Union populaire républicaine de François Asselineau. Actuellement inspecteur général des finances publiques, ce gaulliste et ancien proche de Charles Pasqua prône la sortie de l’Union européenne, « pour rétablir la démocratie en France ».
Kévin aurait voté pour lui s’il avait eu ses 500 signatures, mais il a finalement opté pour Dupont-Aignan. Bien qu’il ne soit membre d’aucun parti, après avoir été déçu par l’UMP, Guytan l’admet lui aussi : « Il n’y a rien à jeter chez Dupont-Aignan. »
« Le FN est le meilleur animal politique »
Si l’attrait de plusieurs membres d’E&R pour Debout la République semble évident, tout devient beaucoup plus flou dès qu’on évoque l’extrême droite. « Ah, le Front national, c’est compliqué… », souffle Cyril, qui a été membre du syndicat Force ouvrière pendant onze ans, puis s’est tourné vers le Parti ouvrier indépendant, avant de rencontrer Guytan.
A 22 ans, Jean-Christophe est lui étudiant en sciences politiques à la fac de droit :
« E&R appartient à une mouvance qui défend une certaine forme de nationalisme, et ça, c’est affilié à l’extrême droite. Mais les gens confondent radicalité et extrémisme. On n’est pas extrémistes. »
Pourtant, Rémy, 28 ans, ne cache pas son admiration pour Jean-Marie Le Pen. Finalement, tous s’accordent à dire que « le FN est le meilleur animal politique ». Autrement dit, le seul parti nationaliste qui aurait suffisamment de poids pour porter leurs revendications dans les sphères de pouvoir.
Vivier de recrutement pour le FN
Et à regarder d’un peu plus près les grands noms qui gravitent autour du FN d’une part, d’E&R d’autre part, il apparaît clairement que le lien entre les deux associations politiques n’est pas si ténu qu’on voudrait nous le faire croire. Frédéric Chatillon, cofondateur d’E&R, n’est autre que le conseiller en communication et l’ami proche de Marine Le Pen.
Autre initiateur du mouvement E&R, Philippe Peninque, ancien avocat, a rejoint l’équipe de campagne de la candidate FN en 2011. La frontière entre le Front national et Egalité & Réconciliation est poreuse pour ces conseillers de l’ombre, souvent hardis professionnels de la communication, qui savent jouer de l’ambiguïté entourant le groupuscule.
Pour Stéphane François, politologue spécialiste des droites radicales qui a étudié cette association, cette ambiguïté n’est pas entretenue par hasard :
« Il s’agit d’attirer des jeunes aux profils variés, qui serviront de vivier de recrutement pour le FN. »
Et cela se retrouve dans le choix de leur slogan – « Gauche du travail, droite des valeurs » – qui aurait également pour but d’attirer des jeunes de toutes sensibilités politiques. « C’est très bien travaillé pour recruter, ça fait partie d’une stratégie », analyse le politologue.
D’ailleurs, les explications des jeunes d’E&R restent floues sur cette « droite des valeurs ». Guytan finit par répondre :
« Ce sont les valeurs traditionnelles de l’honneur, de la parole donnée, du respect, de la camaraderie et de la justice. »
La gauche qu’ils défendent est quant à elle essentiellement inspirée du marxisme et favorise le travail.
« La maîtrise de son corps et de son esprit »
Malgré cette définition assez large de l’idéologie d’Egalité & Réconciliation, Guytan assure opérer une sélection à l’entrée de l’association. « A E&R, on est exigeants, on choisit les gens », défend-il.
Ainsi, pas question d’accueillir des personnes qui n’ont pas un minimum de culture politique, qui ne savent pas ce qu’ils veulent. Si l’on s’en tient à leurs témoignages, tous répondent à un certain nombre de critères, que l’on pourrait associer au proverbe latin « Mens sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain).
C’est avant tout par l’apprentissage de valeurs et d’un certain mode de vie que les membres de l’association se distinguent. Guytan décrit :
« E&R, c’est d’abord la maîtrise de son corps et de son esprit, c’est toujours intellectuel et physique. »
Pour Stéphane François, ce culte du corps relève bel et bien d’un système de valeurs d’extrême droite. « Cela fait partie d’un certain imaginaire », ajoute-t-il. Nombreux sont d’ailleurs ceux, à E&R, qui s’adonnent à une pratique sportive régulière, se tournant notamment vers les arts martiaux.
Lorsque Ludovic, 30 ans, décrit les apports d’un tel engagement, il est davantage question d’apprentissage personnel que de politique :
« C’est l’autonomie sur le corps, le sport, la voile, la découverte de différentes cultures… En un an, j’ai vraiment beaucoup progressé. »
Plusieurs fois dans l’année, le groupe organise des week-ends à la campagne, histoire de vivre à la dure pendant quelques jours.
Le plus important aux yeux de ces jeunes serait donc d’adopter une certaine hygiène de vie : manger sain, savoir bien s’entourer, lire les bons livres et faire du sport sont leurs principales lignes de conduite. Ils font sans cesse l’éloge d’œuvres vantant la nature et les grands espaces, comme celles de Jack London.
« Nationalistes révolutionnaires »
Malgré la diversité de leurs parcours, tous ont un point commun, d’après Stéphane François : « Ce sont des nationalistes révolutionnaires. »
Le politologue décrit également :
« Ils ont une fascination pour l’islam, pour son aspect antimoderne et viril, qui vient clairement d’en haut. »
Marc George, ancien bras droit d’Alain Soral et ancien membre du FN, a lui-même affiché sa conversion il y a quelques mois. Ce qui n’empêche pas Alain Soral de vouloir combattre l’« arabisation de la France ».
La religion et la spiritualité occupent une place primordiale dans la vie de certains. « J’ai rencontré des camarades musulmans qui avaient les réponses à mes questions à E&R », confie Jean-Marie, anciennement catholique, qui s’est récemment converti à l’islam.
Ludovic, de son côté, est musulman depuis dix ans et vient de créer un club de musulmans patriotes : Fils de France. Pour son lancement, ce dernier a d’ailleurs bénéficié de la venue de Nicolas Dupont-Aignan, ou encore de Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, connu notamment pour ses prises de position en faveur de Dieudonné, et dont l’ouvrage « Vive Le Pen ! » avait suscité la polémique en 2011.
« Mon arrière-grand-père est juif, ma femme voilée »
Ces profils diversifiés sont-ils gages d’une ouverture culturelle ou une manière détournée de se défendre de tout lien avec l’extrême droite ? Toujours est-il que les arguments de Ludovic, comme ceux de ses camarades, sont bien rodés :
« Mon arrière-grand-père est juif, il a fait Auschwitz, ma femme est voilée, donc les mecs qui me traitent de fasciste… »
Là encore, les spécialistes se rejoignent pour affirmer qu’il s’agit d’une stratégie. Sylvain Crépon, spécialiste de l’extrême droite, analyse :
« Alain Soral essaye d’établir des passerelles entre les nationalistes et les jeunes musulmans. »
Il ajoute : « Ils sont obsédés par la virilité. »
Leur mouvement est très masculin. Aucune femme ne nous a d’ailleurs été présentée. Et pour cause : elles sont très minoritaires, voire quasiment absentes dans l’association. « Notre graphiste est une femme », défend Guytan. Mais à la minute d’après, la réalité reprend le dessus :
« Quand on fait des réunions, les femmes sont à la logistique, je mets les pieds sous la table. »