Est-ce un pied de nez au monde de l’édition ? Un "coup" médiatique ? Ou, comme le dit Dominique Bona, membre du jury Renaudot, la volonté de rester fidèle à l’esprit d’irrévérence qui a présidé à la naissance du prix ? Toujours est-il que, pour la première fois dans l’histoire des prix littéraires, un livre autoédité entre en compétition. Et pas n’importe quel roman puisqu’il s’agit de L’Homme qui arrêta d’écrire, de Marc-Edouard Nabe. Un choix qui ne manque pas d’ironie. D’une part, le roman de Nabe fustige copieusement les milieux artistico-littéraires en changeant à peine le nom des personnes qu’il attaque - notamment certains membres du jury, comme Patrick Besson ou Franz-Olivier Giesbert. D’autre part, ce livre diffusé sur Internet et dans quelques commerces (boucherie, fleuriste...) se veut l’illustration d’un nouveau concept lancé par l’auteur : "l’anti-édition". Pourtant, ni le boycottage des intermédiaires traditionnels du livre que sont les éditeurs, les diffuseurs et les libraires - des "parasites" selon Nabe - ni le contenu du roman ne semblent avoir vraiment posé de problème au jury, comme l’explique Patrick Besson : "C’est davantage sur le côté scandaleux du personnage qu’il y a eu des oppositions." Louis Gardel, par exemple, est catégorique : "Je n’ai pas ouvert le livre de Nabe car, il y a quelques années, lors d’un dîner, j’ai quitté la table après qu’il a tenu des propos antisémites. Il est hors de question que cela aille plus loin."
Interrogés sur la question de l’autoédition, les membres du jury expriment des points de vue divergents. "D’abord ce n’est qu’une deuxième liste, observe Dominique Bona. Ensuite, il est évident que si Marc-Edouard Nabe est maintenu dans la dernière sélection, il faudra en parler dans la mesure où ce procédé court-circuite une profession qui est aujourd’hui en souffrance. Lui décerner un prix serait un véritable camouflet à l’égard des libraires, auxquels tous les auteurs sont redevables." Un avis que ne partage pas Franz-Olivier Giesbert : "Je ne vois pas où est le problème ? Proust en son temps s’est autoédité." Pour Patrick Besson, "c’est une manière de saluer l’importance d’une oeuvre originale qui demeurera une curiosité dans le paysage littéraire de la deuxième moitié du XXe siècle". Et puis, ajoute-t-il, "je suis sensible à l’aspect industriel. C’est de l’autoédition telle que la pratiquaient en leur temps Tolstoï et Dostoïevski." Message reçu par Nabe, qui s’est dit agréablement surpris par cette entrée en lice au Renaudot : "Au moins cela démontre qu’un livre sorti en janvier hors du système traditionnel peut encore avoir une existence en septembre. Il y a quelque chose de très réjouissant à voir l’anti-édition entrer dans une liste de prix prestigieux." Surtout si, comme l’affirment Christian Giudicelli et Louis Gardel, c’est Franz-Olivier Giesbert, patron du Point et figure influente de la vie littéraire, qui a parrainé Nabe, autoproclamé "paria" des lettres... Ce que Giesbert dément.