Dieudonné est un humoriste français, Bercoff un journaliste français. Le second reçoit le premier. Ils parlent sur la radio qui s’appelle Tocsin. Le monsieur de gauche sans cheveux interroge celui qui a une couleur. Voilà pour la présentation officielle.
Officieusement, Bercoff a une fonction dans le lobby juif français, un peu comme Goldnadel, mais Bercoff, lui, est exposé : il tient une place centrale dans le dispositif médiatique. Partout où il passe, il fait le casting.
Si aujourd’hui il invite Dieudonné, l’ex-ennemi public numéro un de la communauté juive organisée, mais pas du public français, nuance, c’est parce qu’il y a une raison politique. Arracher Dieudonné à la dissidence ou à la résistance est un haut fait d’armes. La chose avait déjà été tentée par l’entremise de Francis Lalanne, mais Dieudonné avait rechuté.
La politique profonde, aujourd’hui, ce ne sont pas les agitations des députés LFI ou RN, qui sont somme toute dans le Système, formant ce trimaran dont parle Youssef Hindi avec Macron au centre et deux pseudo-extrêmes sous contrôle. Au-delà, ce sont les vraies extrêmes, la ligne rouge. Et c’est le lobby qui la fixe.
Et ce dimanche 13 avril 2025, Bercoff propose clairement à Dieudonné de la franchir dans l’autre sens, de revenir dans le giron, c’est-à-dire sous contrôle. Certes, ces choses ne sont pas dites, mais elles sous-tendent l’entretien : elles vont affleurer.
Pour ce faire, les deux vont se rapprocher, tout en douceur. Bercoff fera assaut de flatteries et de topos sur la défense de la liberté d’expression, du genre même mes ennemis ont le droit de s’exprimer. Quelle gratitude ! C’est l’avantage d’être un agent du Système, on distribue les bons et mauvais points, on récompense et on punit. Ou on pardonne. Mais le pardon, qui existe chez les chrétiens, existe-t-il chez les juifs ? C’est une question qui appelle une réponse de spécialiste. Allo, Youssef ?
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De 00’00 à 07’30, Bercoff introduit l’invité qui se présente. Puis, n’y tenant plus, et n’écoutant pas, il commence à aborder le point sensible, en ramant péniblement, au lieu de poser la question simple qui le taraude : pourquoi avoir énervé le lobby juif ? En réalité, Dieudonné n’y est pour rien.
« Vous avez faire rire donc, on va en parler on va pas raconter votre vie, raconte pas ta vie disait Prévert, mais en même temps vous avez fait rire sur des choses extrêmement, et c’est intéressant, intéressant de ce point de vue, vous avez fait rire sur des choses extrêmement, je dirais critiques, des choses sur lesquelles les gens, parce qu’il y a effectivement le côté, l’histoire, et il y a le passé, il y a tout ça, et vous vous avez dit bon moi, euh, etc., et comment justement on peut rire de tout, c’était ça un peu votre, voilà y a pas de raison d’avoir des territoires, mais euh, comment il se fait, et ça m’intéresse d’avoir votre avis là-dessus, vous connaissez évidemment un certain Pierre Desproges, vous êtes dans cette lignée, alors deux choses d’abord, euh, Pierre Desproges disait, on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, et puis vous vous rappelez ce premier sketch qui est intéressant pour lequel il n’a jamais eu de problèmes, quand il commençait il disait on me dit que quelques juifs se sont glissés dans la salle, je ne comprends pas, y en a encore, etc., et les gens se marraient à l’époque, et je me rappelle aussi, c’est très intéressant, et comment ça s’est, comment tout cela s’est, je dirais rigidifié, solidifié pour des bonnes et des mauvaises raisons... »
Viens-en au fait, Dédé, une minute vingt pour tourner autour du pot, c’est trop long ! Allo Clémence, il faut couper, là. Suit le sketch chez Fogiel en décembre 2003, que tout le monde connaît. Et Bercoff de conclure sa non-question : « Et vous faites le salut hitlérien ! »
Est-ce qu’on a demandé à Desproges pourquoi il faisait une vanne sur les juifs dans la salle ? Non. Autres temps, autres mœurs. On rappelle, car on a des archives, que dans les années 90 déjà, une Dieudonné avait été tentée par le lobby juif en attaquant Laurent Violet, puis Sébastien Cauet, suite à des vannes sur les nazis ou sur les juifs. Mais la mayonnaise médiatique n’avait pas pris. Les deux hommes avaient été punis, mais cela n’avait pas servi de leçon.
C’est seulement après 2000, soit la révolte des Palestiniens sous Ariel Sharon (qui a provoqué l’Intifada, comme Netanyahou la provoquera en octobre 2023), que le jeu s’est durci en France. Dieudonné n’a pas eu la chance de Desproges : il a servi de repoussoir et de cible à la communauté organisée. Le reste, c’est de la littérature.
Ce sont donc des conditions extérieures qui ont décidé de la condamnation de l’humoriste associé aux banlieues : il a été victime de la droitisation du lobby juif, qui était auparavant de gauche, comme Dieudonné, d’ailleurs. Ratonner les Palestiniens en Palestine ou les Arabes en Irak (2003 !) devait avoir une répercussion chez nous. C’est là qu’eut lieu le renversement d’alliance, dont on voit le résultat flagrant en 2025, Jordan à Tel-Aviv. Le processus a mis vingt ans, mais il est officiel. Il choque les médias mainstream, élevés au lait de l’antiracisme et qui ont un train de retard. Aujourd’hui, c’est l’extrême gauche qui est prise au piège de son antiracisme, donc de son pro-palestinisme : elle est devenue, à son corpus défendant, mécaniquement antisémite.
Maintenant, au tour de Guillaume Meurice et de Pierre-Emmanuel Barré de subir une Dieudonné, c’est-à-dire un lynchage et une condamnation publique. Pour Blanche Gardin, c’est fait. Si les humoristes veulent résister à leurs juges, il faudra qu’ils jouent collectif.