Le débat est tout à fait médiocre, bien d’autres ici l’ont souligné. Je remarque par ailleurs qu’il est nul et non avenu, dans la mesure où n’est possible de discuter de textes (puisque l’argument fallacieux de Riposte Laïque se veut fondé sur le Coran) que lorsqu’on les maîtrise ; on attend, en vain, le signe le plus minime de connaissance des textes islamiques par un des deux intervenants. Par dessus tout, le sens de la nuance, qui doit être de mise lorsqu’on parle d’abstractions comme "le monde musulman", "les Lumières" et j’en laisse, fait cruellement défaut ici !
Chez un humoriste comme Dieudonné, on n’en demande pas tant : en dehors de son engagement (qu’on peut aussi discuter sur ce même plan de la nuance, mais qui a le mérite de sa sincérité et de son pouvoir de saine nuisance), rien ne justifie sa présence dans un tel débat. Interrogeons-nous en revanche sur Mme Tasin, dont le cas est mille fois plus grave. On peine à croire que ce discours est celui non pas de n’importe quelle enseignante à la retraite, mais de quelqu’un qui est spécialiste de Lettres Classiques. On est sidéré par la naïveté de ses propos sur l’Encyclopédie, présentée comme un lapin sortant d’un chapeau par quelqu’un qui, étant nécessairement passée par Aristote, devrait savoir que la curiosité universelle, la réflexion la plus avancée sur les lois, la chose divine et leurs relations, n’ont pas attendu le salon de Madame Geoffrin pour apparaître dans la civilisation occidentale.
Le minimum de culture historique qu’on exige, en outre, de n’importe quel diplômé en sciences humaines, comporte la connaissance rudimentaire du monde arabe médiéval (ne serait-ce parce qu’il relève de l’histoire européenne, n’en déplaise aux Sylvain Gouguenheim de café du commerce), qui relève déjà d’un universalisme culturel ouvert et curieux caractéristique de l’apogée d’une civilisation, et qui n’est pas allé sans une certaine tolérance religieuse à des lieues de la caricature de laïcisme qu’elle nous assène ; cela a permis, par exemple, l’avènement d’une philosophie juive avec Maïmonide, qui écrivit en arabe). En ce qui concerne la condition homosexuelle, rabâchée du début à la fin de l’entretien, je signale à Mme Tasin la traduction en français par René R. Khawam du Livre des mérites respectifs des jouvencelles et des jouvenceaux d’Al Jâhiz, qui lui donnera un aperçu de la condition homosexuelle à Bagdad au IXème siècle : on est loin de l’obscurantisme barbare. L’âge d’or de l’islam est passé depuis six siècles (on notera au passage que madame date le début de l’expansion islamique au VIème siècle, soit avant la naissance de Mahomet...), mais ce qui échappe à notre démiurge du sauciflard, c’est que nous, européens, sommes à notre tour entraînés dans notre déclin, et qu’il n’y a que la rigueur intellectuelle et l’étude sérieuse de notre civilisation et des civilisations qui nous sont proches, celles du Livre en tout premier lieu, mais aussi une certaine autocritique (dans laquelle "Qu’est-ce que la colonisation ?" est une question qui tiendrait une bonne place) qui puisse maintenir la culture française dans une posture digne et l’empêcher d’aller à vau-l’eau. On est scandalisé de voir que les happy few qui ont encore accès à la culture antique en arrivent - même eux ! - à incarner parfaitement cette décadence. On notera, pour ne pas trop s’étendre, qu’ici la religion n’est pas comprise dans son essence : ce que Mme Tasin appelle totalitaire par abus de langage, c’est tout simplement la vocation même des religions, c’est à dire l’organisation des sociétés humaines. On connaît le schéma : les hommes sont par nature amenés à la violence généralisée, on invente la loi pour mettre fin à cette violence. L’homme invente l’hypocrisie pour tourner la loi en sa faveur : la religion, en apportant le jugement vertical, la contrecarre. Je précise que je suis à la fois de culture musulmane et chrétienne, mais que mon agnosticisme m’amène à avoir une sensibilité matérialiste, exactement comme Mme Tasin. Simplement, ce que Mme Tasin n’a à l’évidence pas compris, et il serait temps, c’est que le matérialisme né de la révolte face à l’injustice engendrée par les religions n’a pas su leur apporter d’autre alternative que le dogme de l’argent roi. C’est donc dans cette démarche d’autocritique qui échappe visiblement dans une large mesure aux illluminés de la République que je m’intéresse à ce qu’expose Alain Soral, et que je vous fais part ici de ces observations.
Répondre à ce message