Un crime de guerre flagrant contre une clinique de Gaza, en réponse à la mort d’un soldat israélien, n’a pas été reconnu comme tel.
Le 23 juillet 2014, deux semaines après le début de l’assaut de 51 jours lancé contre Gaza l’été dernier, des forces civiles et des médecins retiraient des corps écrasés, mutilés et carbonisés des décombres du quartier Shujayea, à Gaza, dévasté trois jours plus tôt au cours d’une des attaques les plus meurtrières de la guerre. De nombreux morts ne purent être identifiés.
Pendant ce temps, se déroulait au cimetière militaire du mont Herzl dans le calme de Jérusalem, l’enterrement de Dmitry Levitas, soldat israélien de 26 ans. Levitas avait soi-disant été tué la veille par le tir d’un sniper.
Le lieutenant-colonel Nerya Yeshurun, officier supérieur dans l’unité de Levitas, était encore stationné à Gaza. Mais Yeshurun et son commandant, Mordechai Kahane, voulurent participer aux funérailles à leur manière, bien spéciale.
Alors Yeshurun se servit du réseau de communication interne de l’armée israélienne pour parler directement aux soldats placés sous ses ordres :
« Je veux que nous tous, ici, au milieu du quartier de Shujayea, nous nous joignions à tous ceux qui accompagnent Dima dans son dernier voyage. On va lancer une fusillade en l’honneur de cet officier à la clinique d’où ces bandits lui ont tiré dessus et l’ont tué. Je compte sur vous. Je suis fier de vous. Préparez-vous à tirer à la mémoire de Dima. Que son âme reste en vie. Amen. »
Passé pratiquement inaperçu
Et c’est ainsi que Yeshurun - qui déclara plus tard à la publication de l’armée israélienne, Bayabasha (« Sur la Terre »), qu’il « aimait très fort Dima » - ordonna à ses soldats d’ouvrir le feu sur une clinique à Shujayea, quartier très peuplé où les Israéliens avaient tué jusqu’à 120 personnes quelques jours auparavant.
« L’éloge » que fit Yeshurun fut transmis à son unité en temps réel. Le lendemain, un enregistrement en fut téléchargé pour NRG et MAKO, les deux principales sources d’informations israéliennes, très patriotes.
L’incident passa pratiquement inaperçu dans la presse israélienne et dans les médias internationaux jusqu’à ce que nous le rapportions presqu’un an plus tard pour The Electronic Intifada.
Les propos terrifiants du commandant sont la preuve matérielle de crimes de guerre délibérés. Parmi ceux-ci, l’attaque d’une clinique sans qu’il y ait de nécessité militaire et la vengeance par l’action militaire sont toutes deux clairement interdites par les lois internationales.
Cet après-midi là, cinq personnes furent tuées à Shujayea et des dizaines d’autres furent blessées. Même Asa Kasher, important déontologue militaire israélien qui participa à l’élaboration du « code éthique » de l’armée, a jugé l’incident comme étant illégal.
Il est à noter que l’armée israélienne ne s’est pas, même vaguement, inquiétée des conséquences éventuelles de cette action. En fait, il apparaît que l’armée israélienne voulait que le public israélien soit mis au courant de l’attaque cérémonieuse lancée par Yeshurun. C’est très probablement l’armée elle-même qui a donné l’enregistrement aux sources d’informations citées plus haut.
L’aveu d’un crime de guerre fait par un commandant arrogant n’a pas soulevé ne serait-ce qu’un murmure dans le public ou la presse d’Israël. En fait, ce n’est qu’à la suite de notre enquête que les médias israéliens ont prêté attention à l’événement. Peu après, une chaîne de télévision israélienne diffusa sur ce sujet une émission qui fut suivie par une large audience.
Une réponse révélatrice
La réponse des téléspectateurs fut - et c’est à noter - de couvrir le journaliste et le média d’insultes méprisantes pour avoir rapporté l’acte vengeur et criminel de l’armée. Mais rien concernant l’acte lui-même.
Le 11 juin, la nouvelle fut rendue publique que l’Avocat Général de l’Armée avait ouvert une enquête criminelle sur l’incident basée sur les preuves dévoilées par l’émission.
Cependant, prévoyant ce que les résultats des enquêtes criminelles de l’armée israélienne allaient entraîner, l’Avocat Général de l’Armée annonça la clôture- sans aucune inculpation - de plusieurs enquêtes criminelles d’importance. La plus remarquable d’entre elles concernait l’assassinat de quatre petits garçons qui jouaient au football sur une plage de Gaza.
Le fait de déclarer ouvertement le crime, à la fois quand il fut commis et plus tard, quand il fut présenté au public, semble avoir eu pour but de regonfler le moral en baisse de l’armée et de la nation israéliennes. Il faut rappeler qu’à ce moment-là plus de soldats israéliens avaient été tués lors de l’attaque contre Gaza qu’à n’importe quel autre moment depuis 2006 quand le Hezbollah infligea un sérieux revers à l’armée après qu’elle eut envahi le Liban.
Au cours de cet après-midi de juillet, quelque 30 soldats israéliens avaient perdu la vie, ce qui fut un choc pour une armée qui n’avait pas prévu cela et qui fut dépassée par la résistance efficace et farouche qu’elle rencontra.
Ce chiffre est bien-sûr dérisoire face au nombre de morts chez les Palestiniens : plus de 2 000 Palestiniens moururent au cours des 50 jours de combats. La plupart d’entre eux étaient des civils. Beaucoup perdirent la vie, écrasés sous leurs propres maisons.
« Nous ne sommes pas venus ici pour rigoler. Nous avons une importante mission à accomplir et je suis fier de vous voir tous y prendre part. » C’est ce que Yeshurun dit à ses soldats.
Quand Yeshurun claironna son élogieuse attaque, ce fut non seulement pour ses soldats, mais aussi pour son pays. Le principal souci de l’attaquant était de mettre en valeur le sens de l’honneur et la droiture de ses soldats.
Ce seul épisode est emblématique de ce que nous savons déjà : que l’attaque sadique de 50 jours lancée par Israël contre les Palestiniens l’été dernier était intentionnelle et préméditée. Or ces criminels qui agissent à la vue de tous sont systématiquement lavés de toute responsabilité grâce aux enquêtes internes à l’armée qui retardent ou même empêchent toute enquête menée par la Cour Pénale Internationale.
Pour les guerriers d’Israël, l’attaque gratuite de civils palestiniens, de leurs maisons et hôpitaux, n’est rien de plus qu’un haut fait dont ils pourront se vanter, une fois rentrés chez eux.