J’ai 56 ans. Pendant mon enfance, mon père ouvrier me racontait la révolution Russe, fruit de son imagination car j’ai pu constater plus tard qu’il en avait juste entendu parler. Cela explique sans doute mon intérêt assez précoce pour la politique et ma volonté de m’engager au Parti communiste français, ce que je ne fis pourtant pas.
En 1973, je participai à ma première manifestation contre le coup d’État de Pinochet. Je discutais régulièrement avec des jeunes communistes mais ayant lu le Manifeste de Marx, je trouvais dans leurs arguments des incohérences avec les bases du marxisme. Je me tournai vers les anarchistes de la FA [Fédération anarchiste, ndlr] mais leur délire narcissique, leur méconnaissance du mouvement ouvrier et leur allure de petits bourgeois décomposés m’ont rapidement déplu. La LCR [Ligue communiste révolutionnaire, ndlr] me semblant bien naïve avec ses « Comités de soldats » et leur soutien aux « minorités opprimées » me désolant, je décidai en 1975 de m’engager dans l’AJS [Alliance des jeunes pour le socialisme, ndlr].
J’avais en effet un camarade de classe sympathique qui me harcelait pour que j’achète Informations ouvrières et un professeur du lycée que je fréquentais m’impressionnait beaucoup : c’était Jean-Jacques Marie. Je fus très vite intégré à un « groupe d’étude révolutionnaire » et coopté à l’OCI [Organisation communiste internationaliste, ndlr] six mois plus tard. J’étais très enthousiasmé par le savoir politique des dirigeants de l’époque, leur charisme, leur courage physique et leur pugnacité oratoire face aux staliniens. Berg , J.-J. Marie, Lacaze, Shapira, Lambert, Stora, Rozenblat , plus tard Gluckstein, me convainquaient par leurs analyses et leur talent oratoire, leurs répliques parfois cinglantes mais toujours pertinentes. Je le fus moins par Cambadélis (fourbe et suffisant), Bauvert (un peu « beauf »), Just (trop hystérique).
Très attaché à l’ordre et à la discipline, j’étais aussi séduit par le service d’ordre de l’OCI, dont l’efficacité a dû laisser quelques mauvais souvenirs aux membres du GUD, de la LCR et des gauchistes de tout poil...
Très antisioniste, surtout après des altercations musclées avec de jeunes membres du Betar, j’étais ravi de faire partie de cette organisation dont beaucoup de militants étaient juifs et antisionistes. Mon ami Jacques, juif tunisien qui m’avait fait adhérer ne répétait-il pas : « J’irai un jour en Israël sur un char palestinien ! » ?
Cependant, l’activisme extrême de tous les militants me contraignit très vite à un emploi du temps quotidien très chargé entre réunions, meetings, manifestations, ventes du journal sur les marchés, gardes de nuit du local, syndicalisme. Responsable de cellule, puis de rayon, je me lassais de devoir répéter la ligne du Parti et le journal qui m’est toujours apparu austère et lourdement écrit. Je fis en sorte de redevenir militant de base car je me dégoutais d’annoncer des ventes du journal compatibles avec les objectifs pris lors de la cellule précédente mais mensongers – car je payais souvent de ma poche des journaux que je prétendais avoir vendu. La crainte de décevoir mes camarades et ma réticence à faire du porte à porte, à harceler les gens pour leur vendre un journal qu’ils finissaient par acheter pour me faire plaisir ou pour que je les laisse reprendre leur quotidien, était à l’origine de ces mensonges, moi qui vendais aussi La Vérité...
Après l’élection de François Mitterrand, je fus troublé le 10 mai 1981 d’assurer dans le service d’ordre du Parti la sécurité du Parti socialiste place de la Bastille...
Je m’éloignai en 1984 du militantisme pour me consacrer à ma famille, mon fils venant de naître. Je n’ai donc pas vécu le départ de Cambadélis avec la quasi-totalité des jeunes cadres du Parti, décapitant ainsi l’avenir de l’organisation. Je suivais toutefois de près les activités du Parti des travailleurs, regrettant cependant la disparition du PCI [Parti communiste internationaliste, ndlr] pour créer un courant dans une organisation plus ouverte.
En 1992, un ami me décida à rejoindre le Parti des travailleurs, où je repris une activité toutefois moins soutenue que huit ans auparavant. Je constatai avec dépit le vieillissement du Parti, la pseudo-existence de quatre courants (anarchiste, communiste, socialiste, trotskiste), la réalité étant que seul le courant trotskiste avait une existence réelle dans la vie du Parti... Les effectifs, malgré l’ouverture de cette nouvelle organisation, plafonnaient. Le PCF s’effondrait et l’arrivée massive de ses anciens militants au Parti des travailleurs (tant espérée) ne se fit pas. Chaque assemblée générale locale du parti me semblait montrer la faiblesse politique des nouveaux cadres, et l’indigence des personnes réunies dans ces AG si clairsemées m’affligeait. Venaient à ces réunion des gens un peu « paumés », ayant sans doute vu de la lumière, loin de l’idée que je me faisais d’une classe ouvrière dont j’étais issu. Je ne comprenais pas la maladresse opiniâtre de la propagande du Parti, si austère et ennuyeuse : tracts trop longs, affiches sinistres, communication d’un autre âge. Le spot de campagne de Gérard Shivardi, candidat en 2007, étant un summum : discours incompréhensible parce que mal articulé, avec en arrière-plan des trains successifs dont le bruit couvrait le peu de paroles qu’on pouvait comprendre...
En 2003, l’occasion m’étant donnée de dîner à plusieurs reprises avec Pierre Lambert, en comité très restreint, je lui fis part des mes interrogations. Il me fit comprendre qu’il fallait à présent lutter pour sauver les « îlots de civilisation » qui restaient. C’était pour moi un objectif nécessaire mais bien éloigné de la promesse de révolution socialiste qui m’avait fait m’engager 38 ans plus tôt, le survivalisme n’étant pas ma tasse de thé, même si je n’y suis pas hostile...
Résistant à l’envie de quitter le Parti, j’écrivis une lettre à Pierre Lambert où je m’étonnais qu’on n’essaie pas de se construire dans la jeunesse ouvrière saine, travaillant ou au chômage, et non parmi les racailles des cités, le nouveau lumpenproletariat. Il ne m’a jamais répondu et j’ai quitté le Parti devenu, depuis le POI [Parti ouvrier indépendant, ndlr] dans la foulée.
Depuis, j’ai redécouvert la littérature, relu Céline, Camus, découvert avec volupté Philippe Muray en 1999, Houellebecq, Zemmour, Michéa, Philip Roth, Finkielkraut que j’admire malgré tout (excusez), Soral...
En dehors de ces années de militantisme, instituteur depuis 1981, j’ai toujours été un virulent adversaire du pédagogisme démagogue, imbécile et surtout destructeur, ce qui m’a valu les « foudres » de nombreux inspecteurs de l’Éducation nationale, de collègues adhérents dans des syndicats majoritaires mais totalement pourris. Je considère que l’École de la République est dans un coma dépassé et je ne rate jamais l’occasion de le démontrer haut et fort à chacune des conférences « pédagogiques » de lavage de cerveau auxquelles je suis convié avec contrainte. Je me sens bien seul à cette occasion, tel Winston dans 1984. Le livre paru il y a 30 ans Le Poisson Rouge dans le Perrier, considéré comme satanique par les pédagogistes, m’a maintenu dans mes convictions. Plus tard Michéa, Finkielkraut, Zemmour, Brighelli.
Ces années de trotskiste m’ont beaucoup appris, certaines analyses n’étant pas très éloignées de celles d’Alain Soral. Depuis mon départ du Parti des travailleurs, j’ai laissé s’exprimer des idées que je tentais vainement de refouler depuis mon adolescence : l’amour de la France, de son Histoire, de sa Culture, de ses paysages, de son peuple râleur gallo-romain... J’ose avouer maintenant que La Marseillaise m’a toujours fait frissonner. Alain Soral, que j’écoute et que je lis depuis des années, m’a souvent agacé par ses déclarations à « l’emporte-pièce », mais ses analyses, son courage, ses appels répétés à lire, son rejet des violences inutiles et stériles, son opposition au libéralisme, à l’Europe, et ses idées drôles et pertinentes (comme celle de faire porter aux députés un maillot avec leurs sponsors) ont finalement eu raison de mes hésitations : j’ai décidé de rejoindre Égalité & Réconciliation.
P.S. : Je ne sais pas faire concis, vingt-cinq ans de lambertisme oblige...
PS2 : Le POI est le seul parti à exiger la sortie de l’Europe et à mettre en priorité l’indépendance financière d’un parti qui se dit révolutionnaire.