La mode est depuis la fin de la guerre froide au déboulonnage des idoles - enfin, surtout celles des démocraties populaires. Aujourd’hui c’est le tour de la démocratie libérale - en bref la "Démocratie".
Il y a deux sortes de dictatures : la dictature et la Démocratie [1]. Dictature et Démocratie ne se distinguent pas par la mesure dans laquelle chacune est coercitive mais par la manière dont est exercée la coercition. Celle-ci est extérieure en dictature ; elle est imposée par autrui. Elle est intérieure en Démocratie. Le génie de cette dernière est d’induire chez le citoyen le consentement aux décisions du gouvernement qui ne demande pas son avis au peuple avant que celui-ci considère ces décisions comme l’expression de la volonté publique [2]. L’induction du consentement public est le travail de la propagande [3] qu’Edward Bernays baptisa du nom acceptable de "relations publiques" [4] - on ne vous manipule pas, on entre en relation avec vous ; c’est tellement plus sympa ! Voyons à l’aide d’un exemple comment la Démocratie procède. Aventurons-nous dans la fiction politique afin, sans prétention, de prévenir ainsi nos lecteurs de ce que prépare en coulisse notre gouvernement...
Résumons d’abord les étapes de la manipulation démocratique à fin libérale ; nous développerons après : 1- dessein occulte, 2- injustice fabriquée ou exploitée, 3- révélation du dessein présenté comme la correction de l’injustice, 4- exécution de ce dessein et injustice encore plus grande.
1ère étape - le dessein occulte. Le gouvernement veut privatiser la Poste et la SNCF - il ne le dit pas encore car ça passerait mal auprès du public.
2- Il crée l’Injustice. On allège les horaires de travail des fonctionnaires ; leurs retraites sont généreuses. Les media comparent charge de travail et retraites du privé et du public - "les conditions de travail des cheminots ont tout de même bien changées", fait-on remarquer avec justesse. Les Français tirent leur conclusion - scandale à droite, culpabilité à gauche ; ainsi neutralise-t-on cette dernière. Mais les fonctionnaires sont mal payés - c’est voulu - ils sont donc plus revendicatifs. Ainsi, d’un côté, les travailleurs du secteur privé sont indignés par cette attitude revendicative ; de l’autre les fonctionnaires sont enclins au conflit social. Les syndicats organisent donc des grèves. L’état et les syndicats se raidissent sur leurs positions respectives, afin que ces grèves durent ; les entreprises ne peuvent plus tourner et on licencie. On apprendra dans trente ans que le MEDEF a payé les syndicats sous la table, comme il a admis l’avoir fait en d’autres circonstance s. Les idiots utiles comme l’IFRAP [5] dénoncent les subventions énormes, les avantages et privilèges sociaux, les grèves et la gabegie, le contraste choquant avec le manque d’investissements en matière de sécurité sur les rails - la corde sensible. La Commission européenne lève le carton rouge [6] : "l’état français fausse la concurrence en mettant la main à la poche du contribuable !" - Europe chérie qui protège notre pouvoir d’achat.
3- Celle-ci, deus ex machina des tragédies privatisées, s’impose par la force des traités communautaires comme l’arbitre des Français divisés : il faut privatiser ; c’est le prix de la paix sociale, du pouvoir d’achat, de la baisse du chômage et de la compétitivité de la France.
4- Le gouvernement privatise donc la Poste et la SNCF, fort du soutien du public ainsi manipulé et de la contrainte providentielle exercée par la Commission européenne [7]. La concurrence s’impose de fait. Pour sûr, elle fera baisser les prix ; ça réjouit l’UMP et ça console au PS. Seulement voilà. La concurrence des actionnaires est aussi forte que la concurrence des prix. En effet une grande entreprise privée a besoin d’actionnaires autant que de clients pour survivre. Dans la course générale après des actionnaires qui par définition veulent rentabiliser leurs investissements, la Poste et la SNCF privées - fiction toujours - pratiquent maintenant des tarifs beaucoup plus élevés que les anciens services publics. Vous vilipendiez ces "parasites de fonctionnaires", beaux parleurs de droite ? Mais les parasites - les actionnaires - qui sont aujourd’hui aux commandes sont beaucoup plus cher ! Car, tout compris, compte tenu donc de l’impôt qui autrefois subventionnait la Poste et la SNCF publiques, les Français, bien que ces subventions aient disparu, payent globalement plus cher le timbre poste et le voyage en train...
Denis Jaisson, bourgeois catholique prolétarisé par le Système
[1] Je fais d’emblée un bras d’honneur aux idolâtres jobards des temps modernes, tels Jean Rostand ("Tant qu’il y aura des dictatures, je n’aurai pas le cour à critiquer une démocratie") et Ruy Barbosa ("La pire des démocraties est de loin préférable à la meilleure des dictatures")
[2] "Les démocraties ne peuvent pas plus se passer d’être hypocrites que les dictatures d’être cyniques" (Bernanos)
[3] Noam Chomsky reconnut la vertu coercitive douce de la propagande qui "est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures"
[4] S’étonnera-t-on que la propagande commence par changer de nom et donne ainsi d’elle-même une définition à l’occasion de son premier truchement sémantique. ?
[5] L’IFRAP, www.ifrap.org, se définit ainsi... "Depuis 1985, l’IFRAP est un Think Tank indépendant analysant la performance de l’Etat, des administrations et des politiques publiques, afin de proposer des réformes concrètes".
[6] Coup de semonce : "Monopole, Bruxelles menace le PMU et la Française des jeux", Par LEXPRESS.fr le 27 juin 2007 (www.lexpress.fr/actualite/po...)
[7] Connaissant Bernays, on sourit à la lecture de Harry Truman qui exprima sa naïveté politique en disant avec une épaisseur toute américaine que "chaque fois que vous avez un gouvernement efficace, c’est une dictature"