Depuis que je traduis Hugo Chavez, je ne saurais dire combien de fois j’ai voulu écrire ce qui va suivre, combien de fois j’ai souhaité dire à mes amis de la gauche française à quel point la voix de cet homme, que j’ai mis tant de cœur à essayer de transmettre, est en France accaparée et rendue inoffensive par des courants politiques qui – bien que se disant révolutionnaires, bien entendu ! – ne font, par leurs propagandes, que trahir la pensée et les actes du président vénézuélien.
Mais c’est bien la photo d’Hugo Chavez et de Jean-Luc Mélenchon (voir ci-dessus), le député européen, s’étreignant affectueusement, qui m’a convaincu d’exprimer ici le fond de ma pensée.
Parce que quelque chose me dit, au fond de moi-même, qu’au-delà des contextes politiques et historiques singuliers dans lesquels s’inscrivent leurs actions, ces deux hommes mènent deux combats totalement différents, inconciliables, antagoniques. Cette image est donc pour moi l’occasion idéale de mesurer la vertu du second à l’aune de celle du premier.
Fléau de l’oligarchie et héros des pauvres
Chavez a fait toute la démonstration de la sincérité de son combat politique : tentative de coup d’État à 37 ans, emprisonné deux ans puis relâché à la faveur d’une pression populaire devenue insoutenable pour le gouvernement alors en place, il pût, dès lors, s’appuyer légitimement sur un soutien immense des classes populaires pour conquérir le pouvoir en 1998 sous un slogan qui ne manquait pas de clarté : « Fléau de l’oligarchie et héros des pauvres ». Son élection est, par essence, le résultat d’un rejet catégorique de tout compromis avec les deux partis s’échangeant alternativement le pouvoir depuis 40 ans, c’est à dire depuis la fin de la dictature et la signature du pacte de punto fijo entre « démocrates » et « républicains », qui maintenaient le pays sous domination impériale et, évidemment, hors de contrôle du peuple vénézuélien. À nous, français, ce passé doit nous parler, car il ressemble à s’y méprendre à notre présent. C’est la raison d’être de mes vidéos.
Mais malgré la situation dramatique de servitude dans laquelle se trouve la France, Mélenchon n’en est pas encore à risquer sa vie et sa liberté pour celle-ci, ni même à rejeter le cadre de pensée « gauche / droite » et le système de fausse alternance qui tient les peuples d’Europe enchainés à l’oligarchie : il déclare encore très solennellement que le Parti Socialiste, c’est la « gauche », et que depuis X années, lors des élections « les voix de la gauche se reportent sur le candidat de gauche le mieux placé ». C’est ainsi qu’il justifie le fait d’appeler à voter pour nos maîtres.
Subterfuges électoraux et alliances de circonstance.
Car en effet, si la victoire de Chavez est due à son refus intransigeant de toute alliance avec les anciens partis au pouvoir, Mélenchon, lui, n’hésite pas à user de subterfuges électoraux, d’alliances de circonstances, avec par exemple le très anti-Chavez Cohn-Bendit et surtout le Parti Socialiste, sa matrice, qu’il a aidé à hisser au pouvoir, quelles que soient les justifications invoquées.
Imaginez-vous un seul instant Chavez appelant à voter pour l’oligarchie, sous prétexte de faire élire l’oligarque le « moins pire » (ce qui reste à démontrer) ? Moi non. À lui seul, ce détail devrait donner aux moins avertis d’entre nous toute la mesure de l’escroquerie à laquelle nous assistons : cet homme alimente en France le système de fausse alternance que Chavez a combattue victorieusement au Venezuela, c’est un fait.
Donc, pas de coup d’État, bien entendu, ni même de coup d’éclat, en 40 longues années de vie politique, bien au contraire : il profite d’une paisible et très confortable vie de sénateur, de député européen – et même de ministre ! – sous l’étiquette du Parti Socialiste. Cette vie de révolutionnaire (à 6.200 euros par mois) lui a permis tout de même d’accumuler 760.000 euros de capital prudemment investis en biens immobiliers. Chavez, lui, ne possède rien ou presque : un terrain abandonné et son salaire de Président, gelé par lui au niveau du salaire minimum vénézuélien : 380 euros par mois. Disons qu’en plus de l’opposition très troublante de Mélenchon à la transparence des comptes des élus, toute cette richesse matérielle ne témoigne pas de la sincérité de son combat politique, contrairement au premier qui montre l’exemple et joint les actes aux discours :
« J’ai toujours été un va-nu-pieds, et je mourrai va-nu-pieds. Je ne veux aucunes richesses, je ne veux rien. Rien ! »
(Alo Presidente n° 345, décembre 2009).
« Moi, par exemple, je ne suis pas venu ici pour faire des affaires, non. J’appartiens à la classe des pauvres. Et lorsque je sortirai d’ici, avec la faveur de Dieu, pareil : je ne veux aucun type de richesse matérielle. Je ne suis pas venu faire des affaires et celui qui m’approche pour faire des affaires je le renvoie très loin, car les hommes politiques, nous ne sommes pas là pour faire des affaires, nous sommes là pour faire de la politique véritable en fonction de l’intérêt collectif, en fonction des besoins de notre peuple, c’est pour cela que nous sommes des hommes politiques. »
(Allocution télévisée, 11 novembre 2011).
N’est-ce pas le minimum que nous devrions exiger de nos représentants, du moins ceux qui parmi nous croient encore aux vertus de la démocratie représentative ? Mais il y a une différence plus profonde encore entre Chavez et Mélenchon…
Patria o muerte !
Comme tous les révolutionnaires authentiques qui ont combattu l’Empire et qui inspirent l’action du Président vénézuélien, de Thomas Sankara à Salvador Allende, en passant par Ben Barka, Lumumba, Nasser et bien d’autres, sans oublier son « père spirituel », Simon Bolivar : comme tous ces résistants véritables, Chavez est nationaliste. Il sait que le bien de son peuple passe avant tout par la défense et la consolidation de la Nation vénézuélienne : aucune opposition à l’Empire n’est possible avec un Venezuela faible et dissolu.
« J’invite à ce que nous continuions de renforcer la véritable unité, l’unité organique, l’unité véritable, l’unité – comme on dit – dans la diversité, avec transparence, le renforcement de l’unité populaire, le renforcement de toutes les forces nationalistes. Et cela inclut les classes moyennes patriotes, conscientes. Bien sûr qu’il faut les inclure ! ».
(Hugo Chavez, le 1er Avril 2011).
De même, un Venezuela faible ne serait d’aucun secours pour sa « Grande Patrie » : l’Amérique latine unie et composée, dans sa vision authentiquement inter-nationaliste, de Nations souveraines et solidaires.
C’est l’évidence même sauf pour Mélenchon, qui a soutenu et soutient encore – en ne voulant pas en sortir – l’Union Européenne et son corollaire, l’euro, étapes de la construction mondialiste dépossédant inexorablement les peuples européens de leur souveraineté. Par conséquent, et c’est logique, le député européen assimile systématiquement le nationalisme au fascisme, dont il a fait son cheval de bataille, comme pour se soustraire à une dénonciation vigoureuse et sincère, plus coûteuse politiquement, du fascisme bancaire, lui bien réel, mis en place et soutenu par le PS, son ex-parti et désormais grand allié.
« Nous ne sommes pas l’opposition, nous sommes les ayants droit de la victoire et nous venons réclamer notre dû ».
(Mélenchon en meeting à Grenoble, le 24 Août 2012).
La liberté des peuples à disposer d’eux mêmes
Du patriotisme viscéral de Chavez proviennent les différences inconciliables entre ses choix de politique étrangère et les positions de Mélenchon. Car Hugo Chavez, en plaçant au-dessus de tout la – je cite - « sacro sainte liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes » est amené logiquement à condamner toutes les ingérences dans les politiques intérieures iranienne ou russe, ainsi que toutes les interventions militaires occidentales en Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, aussi prétendument « humanitaires » soient-elles. Cette attitude lui a valu les critiques de toute la bien-pensance européenne, y compris celles de Mélenchon qui déclarait, en pleine intervention de l’OTAN en Libye, que Chavez se trompait « lourdement » (Grand journal, 3 Mars 2011).
Non, Monsieur Mélenchon, les faits ont donnés raison à Chavez : il fallait, il faut dénoncer haut et fort ces guerres de pillage auxquelles nos gouvernements participent. Puisque vous vous revendiquez de la gauche latino-américaine, pourquoi votre voix ne sert-elle pas à relayer clairement et sans circonvolutions politiciennes cette vision pacifiste du monde ? Pourquoi vous, qui êtes si prompt à élever la voix, ne dénoncez-vous pas sans détours cette ingérence intolérable de nos gouvernements dans ces pays souverains, dont vous savez, à moins d’être un ignorant, ce qui serait pire, qu’elle ne répond qu’aux intérêts de l’Empire (dont je ne vous entends jamais prononcer le mot, soit dit en passant) ?
Au contraire, vous affirmiez, lors de la campagne présidentielle : « Il faut absolument qu’il y ait un cadre de droit international reconnu par tous [pour toute intervention en Syrie]. (…) Quand on arrive à l’ONU, les Russes et les Chinois s’opposent aux décisions. Que pouvons-nous faire ? Organiser les représailles qui s’imposent contre la famille al-Assad » (Le parisien, 12 Mars 2012). Autrement dit, vous déclamez ce qu’on entend partout, avec bien souvent la transparence du discours dominant en moins.
La preuve par les actes
Peut-être que Mélenchon n’est pas celui qu’il prétend être. Peut-être que sa fonction est de canaliser la légitime révolte populaire vers des faux combats et surtout, vers des votes qui nous asservissent. Peut-être a t-il d’autres allégeances que nous ignorons et qui expliquent ces contradictions. Attention ! Je ne dis pas qu’un autre homme politique français eût mérité les louanges de Chavez. Je dis simplement que Mélenchon est l’un de ceux qui, à mes yeux, les mérite le moins de par sa participation active à la vie d’un parti politique – le PS – qui constitue un rouage essentiel du système de domination qui a mis la France à genoux.
Vous me direz, à juste titre, qu’il faut savoir pardonner, que les gens changent, que le passé de Jean-Luc Mélenchon doit être soigneusement enterré et que seul compte l’avenir : vous me direz, qu’à l’instar de Chavez, Mélenchon veut désormais sincèrement libérer la France. Il appartient à chacun de répondre à cette question. Je vous répondrai simplement qu’avant de pardonner, il faut recevoir des gages de bonne volonté. Moi, ma conviction est faite : la situation de la France est trop grave pour que nous nous laissions avoir une énième fois par nos maîtres déguisés en peuple. Je crois, très sincèrement, qu’à l’image des vénézuéliens, il est urgent que nous tous, peuple de France, élevions nos exigences révolutionnaires à la hauteur que requiert l’Histoire.
« Je vous appelle en confiance, à assumer pleinement cette responsabilité (…). Je vous appelle à vous retrouver le 6 mai, sans rien demander en échange, le 6 mai pour battre Sarkozy ! Je vous demande de ne pas traîner les pieds. Je vous demande de vous mobiliser comme s’il s’agissait de me faire gagner moi-même l’élection présidentielle. Ne demandez rien en échange, seulement l’acte de votre conscience ».
(Jean-Luc Mélenchon, 6 Mai 2012).
« Je suis fait d’argile du peuple. Soyez sûrs que jamais, je ne vous trahirai. Je préfère la mort à la trahison »
(Hugo Chavez, 18 Août 2010).