Dans son regard, passe encore parfois des lueurs d’incompréhension face à tout ce qui s’est passé. De la tristesse aussi. Derrière la porte, quatre policiers attendent la fin de l’entretien. Riss, 49 ans, le patron de Charlie Hebdo, blessé à l’épaule lors de l’attaque du 7 janvier 2015, toujours visé par une fatwa, nous reçoit pour évoquer le prix littéraire que Charlie lance aujourd’hui à destination des jeunes de 12 à 22 ans.
Pourquoi un prix « Charlie » ?
RISS. En janvier-février 2015, nous avions reçu beaucoup de dessins de jeunes, souvent spontanés, avec un ton très libre. Ce prix est une façon de continuer le dialogue entre cette génération et Charlie, un journal que beaucoup ont découvert au moment des attentats. Tout n’est pas forcément clair pour eux : dans un collège, je me suis rendu compte qu’un gamin pensait que M. Charlie avait été attaqué. Il croyait que Charlie était une vraie personne... Et puis, « Charlie » est un journal qui ose. Nous avons envie de transmettre ce goût, d’aider des jeunes à se décoincer, à un âge où tout est encore possible.
Comment avez-vous vécu les réactions violentes à la une « L’assassin court toujours », sortie le 6 janvier (NDLR : qui montrait un dieu armé) ?
Je voulais mettre en perspective ce qui était arrivé le 7 janvier. Charlie est un journal athée qui espère vivre dans une société avec le moins de Dieu possible. L’image d’un dieu « classique », c’était pour repositionner le débat par rapport à ce que Charlie pense des religions. De toutes les religions. Les gens s’attendaient à ce qu’on fasse encore la une sur Mahomet. Moi j’aime bien quand Charlie prend à contre-pied.
Comment se porte le journal ?
Plutôt bien financièrement. Nous vendons 80 000 exemplaires en kiosques (NDLR : 30 000 avant les attentats). Sans doute beaucoup d’abonnements de soutien ne seront pas renouvelés. Les gens se disent « Charlie va bien » alors ils achètent moins. Mais en 2015, les abonnements ont continué à progresser doucement.
Et l’équipe ?
Nous avons retrouvé un fonctionnement quasiment normal. Individuellement, chacun vit cela à sa façon. Certains vont un peu mieux, d’autres ont des hauts et des bas. Il faut être toujours attentif aux uns et aux autres.
Il y a eu, y compris au sein de l’équipe, des polémiques sur l’argent du journal (NDLR : une trésorerie de 20 M€)
Je n’ai jamais compris en quoi c’était un souci. Ça nous simplifie la vie. On peut faire ce qu’on veut. On n’a jamais été aussi libres. On doit rendre ça créatif. Je n’ai plus de doutes. Ce journal est là pour longtemps.