Le 17 juin, 100.000 ultra-orthodoxes ont défilé dans les rues de Jérusalem pour protester contre un arrêt de la Cour Suprême interdisant la ségrégation entre ashkénazes et séfarades dans une école primaire religieuse de la colonie d’Immanuel en Cisjordanie. Un épisode navrant qui témoigne du néo-tribalisme qui mine la société israélienne.
Ben Gourion et Herzl doivent se retourner dans leurs tombes : leur « Etat juif » est déchiré par une méchante histoire de fous. Cent mille fous qui ont défilé le 17 juin dernier dans les rues de Jérusalem et 20 000 autres dans celles de Bnei Brak, près de Tel-Aviv, pour clamer qu’il y a juif pur et juif impur et qu’il ne fait pas bon mettre leurs rejetons dans la même école.
Les ultra-orthodoxes tenaient le pavé pour protester contre un arrêt de la Cour suprême d’Israël. Les juges venaient en effet de donner l’ordre aux parents ashkénazes, descendants des juifs d’Europe centrale, d’envoyer à nouveau leurs fillettes à l’école Beit Yacov, dans la colonie d’Immanuel, en compagnie des fillettes séfarades, descendantes des juifs d’Andalousie, du monde arabe, persan et ottoman. Mais les familles de ces dernières, grondaient les manifestants, n’étaient pas assez observantes. Enfer et damnation de la désunion sacrée ! Trahison de tous les savants qui avaient œuvré en Diaspora, de Cordoue à Bagdad, pour faire briller pendant des siècles les lumières de l’Orient juif ! « C’est la Torah qui commande ! » signalaient, pas gênées, les banderoles de la manif raciste des « Noirs », surnom donné aux ultra-religieux par Ben Gourion qui ne pouvait supporter ni leurs caftans funèbres ni leurs diktats d’un autre âge. Hanté par les risques d’une division du peuple, le père de la nation avait pourtant cédé en 1948 aux sirènes barbues du clan ennemi en remettant à un futur imprécis la rédaction d’une Constitution.
Résultat : les ultras, guidés par Ubu, sont allés d’extrémisme en extrémisme. Jusqu’à ce dernier épisode où le cocasse se mêle au tragique : car le parti qui représente théoriquement les ultra-religieux s’appelle le Shas. Et il est séfarade ! Leurs prêcheurs ont d’ailleurs souvent adopté la chapka et la redingote des ashkénazes, répudiant ainsi la djellaba blanche de leur culture orientale ! Le monde dingo des bigots s’est donc cassé en deux, rallumant la guerre des origines qui avait si longtemps divisé les juifs laïques.
Dans l’Israël des premières décennies, il y avait en effet d’un côté l’aristocratie des pionniers ashkénazes et la plèbe venue des mondes islamiques, au fil des immigrations d’Irak, de Syrie, du Yémen, du Maghreb et d’Iran. Peu à peu ces fractures se comblèrent tandis que s’installaient de nouvelles déchirures : statut des juifs éthiopiens cruellement contesté par les religieux, soupçon jeté sur certaines catégories de juifs russes, etc... Le comble de l’ignominie est évidemment atteint aujourd’hui par ces pseudo craignant-Dieu qui n’obéissent plus qu’aux lois du délire. Il est vrai que la majorité des Israéliens rejettent leurs élucubrations. « Je ne m’associerai pas au racisme et à la discrimination ! » a ainsi lancé le rabbin en charge des jeunes religieux au sein de l’armée.
Mais cette affaire lamentable illustre une fois de plus l’éclatement du pays en une nuée de micro-sociétés allergiques les unes aux autres. Un néo-tribalisme qui contamine tous les milieux, érigeant entre Israéliens des murs invisibles et infranchissables. Le monde cosmopolite assoiffé de noces métissées, tel que le raconte la légende dorée de l’Etat hébreu, a sombré depuis longtemps dans un conformisme étouffant. A chacun sa secte, et aujourd’hui son ethnie ! Pourquoi pas demain son dialecte ? Que restera-t-il du ciment national ? Seulement la fresque chatoyante qui accueille le visiteur dans le hall de l’aéroport Ben Gourion ? Certes, la Cour suprême se bat contre les ultra-religieux racistes : 24 d’entre eux ont été arrêtés et condamnés à 15 jours de détention, 22 refusent d’effectuer leur peine. Seulement voilà : un vice-ministre ultra-orthodoxe campe devant la prison ! Et tout cela aurait-il été possible si le ministre de la justice en personne, Yaakov Neeman, n’avait pas prôné il y a quelques mois l’application de la loi religieuse, la Halakha, à la place des lois laïques ?
Enfin, tentons de franchir à vol d’oiseau , de pâle colombe trahie, tous ces murs dévoreurs d’espérance : comment Israël pourrait-il voir l’autre absolu, le Palestinien, alors que ses propres citoyens refusent de se voir et de se côtoyer eux-mêmes ?