Nos démocraties libérales sont friandes de commémorations. Ces dernières permettent de ne « jamais oublier » que dans notre monde libre, vainqueur des obscurantismes divers, les bêtes immondes sont toujours tapies dans l’ombre, prêtes à bondir.
En période de gouvernance difficile, ces rappels solennels ont aussi l’intérêt de faire comprendre aux esprits rétifs à quelles horreurs ils pourraient, par les voies impénétrables de la pensée unique mais officielle, être associés. Notre fine équipe au pouvoir aujourd’hui en France illustre d’ailleurs parfaitement ce recours habile à l’émotion mémorielle, avec un penchant net (mais non fortuit) pour des approches permettant de diviser le peuple de France ou de traîner la patrie dans la boue (commémoration sur l’esclavage, guerre d’Algérie…).
Mais le thème référence de toutes les commémorations, l’étalon pourrions-nous dire, puisqu’il est cité même dans des cérémonies concernant des sujets tout autres [1], reste et restera la Shoah.
Il serait parfaitement impossible de lister de façon exhaustive l’ensemble des monuments, musées, expositions, journées, semaines, mois, concours, films, collectes d’argent, comédies musicales dédiés à la Shoah à travers le monde. Rien que pour les monuments et musées principaux, il y en aurait une centaine dans le monde, dont une bonne vingtaine en France [2].
Mais si le nombre de lieux et actions dédiés à la mémoire du Crime, pourtant réputé indicible, est, comme leur objet, sans commune mesure, leur qualité l’est tout autant. En effet, ces cérémonies mémorielles font parfois l’objet d’une profondeur symbolique et d’une gravité liturgique qui pourraient prêter à rire – s’il ne s’agissait bien sûr du plus grand drame de notre histoire à tous. Prenons simplement quelques exemples :
À Charleroi en Belgique, le mois dernier, deux pavés ont été scellés devant une maison où vivait un couple qui fut déporté. Le fils de ces victimes, résidant à présent en Israël, était venu pour la cérémonie. Ces pavés de la mémoire rejoignent ainsi les 45 000 pavés du même genre scellés partout en Europe [3].
Au Canada, en Ontario, toujours le mois dernier, des élèves d’un lycée ont achevé la collecte de deux millions de centimes dans le cadre d’un programme dédié à « l’enseignement » sur le génocide. Les pièces d’un centime permettaient de représenter les victimes, car « métaphoriquement, […] on n’en veut presque pas, ces pièces sont marginalisés au point qu’elles nous deviennent complètement indifférentes ». La remise des dons a eu lieu dans le cadre de la « semaine de la mémoire ». Un surplus pécuniaire a été donné à un élève de l’école dont la famille a souffert de persécutions [4].
À Berlin, en 2012, les élèves d’une école primaire ont érigé un « mémorial perpétuel » : un mur jaune dont chaque brique symbolise une personne juive morte en déportation et qui vivait à l’époque dans le quartier. Un listing de 6 000 noms a été mis à disposition des enfants. Lors d’une cérémonie, chaque élève a partagé publiquement son émotion, avant de placer sa brique. La cérémonie aurait eu pour conclusion qu’« une personne oubliée meurt une seconde fois », et qu’il fallait être tolérant envers les autres, quelle que soit leur race, leur religion ou leur nationalité [5].
À Los Angeles, le 27 janvier dernier (journée de la mémoire de la Shoah en Italie), sous le patronage de plusieurs associations italiennes, on a procédé à une lecture publique des noms des 8 000 juifs italiens victimes de l’Holocauste. Un à un. Dans 8 cérémonies simultanées qui avaient lieu à travers la ville [6].
Si tout les pays occidentaux honorent la mémoire de la Shoah comme il se doit, la France reste particulièrement pratiquante. Il existe un site soutenu par le ministère de l’Éducation qui répertorie toutes les actions scolaires et les lieux consacrés au souvenir [7]. D’ailleurs, en plus des concours, expositions et autres « rencontre avec un survivant », la Shoah est au programme scolaire au lycée, au collège et à l’école primaire [8].