Au cours des trois semaines et demie écoulées, l’opération Bordure Protectrice a plongé Gaza dans un couloir assiégé de malheur. Les pertes civiles dépassent le chiffre de 1 800, et plus d’un demi-million de personnes – un quart de a population de Gaza – sont déplacées. Quoique accablante, la dévastation offre quelques courtes pauses.
- Pendant le cessez-le-feu de quelques heures, des Palestiniens rassemblent tout ce qui leur reste pour aller chercher des refuges temporaires dans Gaza Ville.
Pendant les heures de cessez-le-feu, c’est un semblant de vie normale qui se réinstaure.
Quand j’ai eu l’occasion de visiter Gaza, les 25 et 26 juillet, une trêve prônée par le monde entier avait pris place, et j’ai visité un parc honorant des soldats inconnus tombés à Gaza Ville, qui débordait de nouveaux sans-abris et de personnes déplacées profitant d’un bref répit. Ces gens fuyaient Chejaya – la première ville à se couvrir de feuillets de l’armée israélienne ordonnant aux Palestiniens d’évacuer devant une incursion terrestre – et Beit Hanoun, une communauté tout aussi dégradée, près du passage d’Erez.
- Le marché central de Gaza Ville grouille de monde pendant les heures de trêve et les Palestiniens achètent en urgence. Des milliers d’entre eux ont fui les villes du nord sans rien de plus que les vêtements qu’ils avaient sur le dos.
Gaza Ville
Bien sûr, un cessez-le-feu n’est pas particulièrement sûr quand il se termine brutalement. Pour certains il fut l’occasion d’enfin rejoindre leur maison après de heures de marche dans la chaleur de l’été, mais souvent juste pour découvrir qu’elle avait été totalement détruite la nuit précédente.
Et même avec le risque de tanks israéliens errants et des opérations de dynamitage des tunnels sous des maisons civiles, les cessez-le-feu offrent le seul moment raisonnable, quand les Palestiniens peuvent tenter de voir leurs maisons abandonnées sous le feu, aller se baigner dans une fontaine d’eau putride et puante, et acheter des vêtements et de la nourriture. J’ai parlé à beaucoup de gens qui n’avaient plus mangé ou bu de l’eau depuis des jours. Pour eux, un cessez-le-feu représentait la possibilité d’entreprendre la tâche la plus élémentaire, celle de marcher jusqu’à l’épicerie du coin de la rue et de remplir un bidon d’eau.
- Pendant le cessez-le-feu, des Palestiniens mettent une heure et demie de Gaza Ville vers leurs maisons à Chejaya pour essayer de récupérer des affaires personnelles dans les décombres.
« Je viens d’arriver » dit Firas, 15 ans, de Chejaya, avant de plonger comme un boulet de canon dans une fontaine carrelée de blanc à Gaza Ville. Firas est déplacé avec toute sa famille, entassée dans un appartement à une chambre qui domine l’espace vert du square. Il joue dans l’eau avec les plus jeunes, car tous vivent dans des logements exigus ou dans des espaces loués dans les cours des mini-marchés qui s’alignent le long du boulevard. Lorsque je lui ai parlé, c’était la première fois qu’il pouvait sortir depuis 5 jours et se mettre au frais dans l’eau, à 50 m de son refuge. « C’est bon, mais les feuilles des arbres me gênent pour nager ».
Tout près de là, d’autres adolescents chahutent Firas qui était en compagnie d’écoliers du primaire. Les garçons se défoulent après des jours à l’intérieur et des nuits de terreur. Un jeune a laissé tomber son mobile et quand il voit l’écran brisé, il se met à sangloter.
- Des habitants de Chejaya suivent la rue principale de leur quartier en ruines.
Si le parc n’a pas été touché, tous les immeubles alentour ont leurs fenêtres soufflées et portent les marques de frappes aériennes. Gaza Ville est devenue un genre de camp de réfugiés pour ceux qui vivent dans le parc, à peine abrités par quelques branches d’arbres, et pour ceux qui ont assez d’argent liquide pour payer un appartement.
Chejaya
« Voilà tout ce qui reste de ma maison » dit Sadi Faraj, 22 ans, en dévoilant un missile « cogneur », une arme d’alerte israélienne qu’il a trouvée tout près de l’endroit où se trouvait sa maison. Faraj a marché depuis Gaza Ville pour voir si sa maison était toujours debout. Ce n’était pas le cas. Il a parlé avec Nabil Susouwi, 18 ans, qui a décidé que lui aussi garderait l’enveloppe d’un missile israélien en souvenir. Son « cogneur » était le seul objet récupérable de son ancienne maison.
« Je veux garder ce missile en souvenir parce que c’est lui qui a détruit ma rue et tous les gens autour. C’était à l’arrière de ma maison, et la maison elle-même a explosé » dit-il.
- Une famille palestinienne fuit Beit Hanoun après avoir passé la nuit sous le pilonnage israélien.
Beit Hanoun
La nuit avant mon arrivée à Beit Hanoun, la ville a été pilonnée par les frappes aériennes d’Israël. Les F-16 ont bombardé la ville entière. Des cadavres d’animaux jonchaient les rues et des entassements de restes humains dégageaient une puanteur qui ne pouvait que suggérer ce qui était arrivé à ceux qui n’avaient pas pu fuir à temps. Une ambulance détruite en fragments carbonisés gisait devant une maison bombardée. Un habitant dit que les restes humains détrempant la terre brune provenaient de cinq personnes qui se trouvaient das le véhicule médicalisé et de deux autres qui venaient à la aide.
Ceux qui s’étaient terrés dans leurs maisons pendant cette nuit d’horreur profitaient du cessez-le-feu pour fuir avec un minimum d’effets ou pour évacuer sur des charrettes à ânes.
- Des cadavres d’animaux jonchent les rues de Beit Hanoun, ville encore rurale, des heures après les tirs qui les ont touchés.
Trois refuges des Nations Unies ont été frappés par le feu israélien depuis le début de l’offensive, notamment une école à Beit Hanoun où 19 personnes ont été tuées. Les Gazaouis ne cessent de me répéter « il n’y a aucun endroit sûr où aller », et à côté de mon hôtel, où une dizaine de familles palestiniennes avaient loué des chambres, c’était plutôt le cas. Ces familles n’étaient pas des combattants hébergés, ni des membres de la classe politique. Plusieurs hommes m’ont dit qu’ils étaient commerçants avant que le blocus de 2006 ne coupe l’approvisionnement économique de Gaza.
Beit Hanoun, une communauté un peu plus rurale, où les maisons ont des jardins et les animaux, des abris, était revenue à ses racines agricoles – c’est à dire, avant que les tanks et les tirs aériens ne détruisent ses élevages et ses champs.
Même le zoo de la ville a été bombardé.
En regardant les familles fuir en charrette dans la direction de Gaza Ville, j’ai pensé à la Bosnie, aux séquences de guerre de mon enfance. Sarajevo elle aussi a été assiégée pendant des années. Les habitants utilisaient un système de tunnels élaboré pour faire passer des la nourriture – et des armes. Mais le monde les considérait comme un système souterrain pour maintenir la population en vie grâce à des produits humanitaires qui ne pouvaient entrer d’une autre façon.