Il aurait eu 66 ans le 6 février… Musicien surdoué, promoteur du mouvement rasta créé par Leonard Percival Howell, ce rebelle qui portait l’Afrique en lui continue de faire des émules partout dans le monde. Avec un message qui parle aux exclus de la Babylone contemporaine.
Décédé le 11 mai 1981, il y a trente ans, Bob Marley était un chanteur populaire dont la renommée avait dépassé les frontières de sa petite île natale, la Jamaïque, pour s’étendre au reste du monde. Son message, universel, parlait à tous les opprimés, les sans-droits, les laissés-pour-compte, du Bronx à Soweto. À l’instar de beaucoup de Caribéens et d’Africains-Américains, la question identitaire, la quête des racines, l’émancipation étaient au cœur de ses préoccupations, exacerbées par l’histoire violente de la Jamaïque.
Cette île des Caraïbes, où Robert Nesta Marley est né d’un père blanc et d’une mère noire, existe parce que des esclaves, importés d’Afrique, l’ont fertilisée de leur sueur et de leur sang. Pour l’essentiel issus du peuple ashanti, dans l’actuel Ghana, ils étaient durs à dompter et n’éprouvaient aucune peur lorsque le maître les marquait au fer rouge. Leur volonté de rentrer un jour au pays de leurs ancêtres n’a jamais disparu, le marronnage n’étant qu’un moyen de recouvrer la liberté avant le grand retour. Un rêve que l’abolition de l’esclavage n’a pas estompé.
En grandissant, Bob Marley entend parler de cette histoire. Il entend aussi parler de son compatriote Marcus Garvey, fondateur de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA) en 1914. Mort en 1940, Garvey prônait le retour des Noirs en Afrique, convaincu qu’« aucune sécurité, aucun succès ne viendra à l’homme noir tant qu’il sera une minorité dans la communauté particulière où il pourrait devenir industriellement et commercialement fort. » Garvey mourut sans avoir mis le pied sur le continent, mais il n’en demeure pas moins l’un des précurseurs du panafricanisme et de la conscience noire. Dans l’esprit du jeune Marley, les choses sont claires : l’Afrique représente Sion, la terre promise, alors que le monde occidental oppresseur n’est autre que la Babylone biblique.
Éthiopie
Également nourri de la ferveur des Églises qui pullulent en Jamaïque et se qualifient d’éthiopiennes pour affirmer leur africanité, Bob Marley trouve son Dieu en ras Tafari Makonnen, devenu Haïlé Sélassié Ier, empereur d’Éthiopie, et adhère au rastafarisme. Sensible au discours sur le retour en Afrique, le négus a accordé des terres aux Noirs du monde afin qu’ils participent à la reconstruction de son pays. Ce sera à Shashemene, à 250 km au sud d’Addis-Abeba. Les premiers arrivants sont des Jamaïcains. Bob Marley n’a pas la chance de voir son idole quand le négus visite la Jamaïque en 1966 : il est alors aux États-Unis. Il ne le rencontrera jamais. Reste qu’en 1968, il enregistre son premier disque de l’ère rastafarienne : Selassie Is the Chapel.
Dans les années 1970, l’engagement du chanteur pour l’Afrique s’amplifie. À peine une décennie après les indépendances, les coups d’État se sont multipliés sur le continent, les libertés individuelles ont reculé et les partis uniques triomphent. Marley est-il au courant ? Sans doute. En 1974, il ne fait pas partie des artistes venus des Amériques pour se produire à Kinshasa en marge du combat de boxe Ali-Foreman. Et quand le négus est déposé à Addis-Abeba, puis meurt en 1975, Marley compose « Jah Live » pour honorer sa mémoire. On retrouve ce thème du retour en Afrique dans « Rastaman Chant » et dans l’album Exodus.
L’année 1978 est importante à plus d’un titre. Elle est marquée par la sortie d’« Africa Unite », chanson avec laquelle Marley exprime sa volonté de voir le continent s’unir et affirme son soutien aux combattants de la liberté. Il précise aussi que, si sa musique s’adresse à toute l’humanité, son cœur bat pour l’Afrique. Au siège de l’ONU, à New York, il reçoit la médaille de la paix « attribuée par 500 millions d’Africains ». Dans la chanson « War », il interprète même le texte d’un discours prononcé par Haïlé Sélassié Ier à l’ONU, en 1963. Mais le plus émouvant demeure sans doute son premier voyage en Afrique. Au mois de novembre 1978, il se rend en Éthiopie, à Shashemene. Même s’il n’y passe que quatre jours, il découvre la terre africaine et retrouve les Jamaïcains qui s’y étaient installés. Il n’y donne aucun concert, mais c’est là qu’il écrit l’une de ses chansons les plus célèbres, « Zimbabwe », dédiée aux guérilleros en lutte contre le régime raciste de Ian Smith, en Rhodésie du Sud. En octobre 1979, Marley participe à un concert à Harvard dont les recettes, 250 000 dollars, sont versées à l’organisation Amandla pour le financement des combattants de la liberté en Afrique.
Deux ans plus tard, il est invité à Libreville par Pascaline Bongo, la fille du président du Gabon, à l’occasion de l’anniversaire de son père. Le concert qu’il donne est réservé aux dignitaires… Mais en avril 1980, Marley est à Harare, au Zimbabwe, où les nationalistes africains s’apprêtent à proclamer l’indépendance. À ses frais, il y donne, les 18 et 19 avril, ses deux uniques concerts publics en Afrique. Si le premier jour les choses se passent mal au stade Rufaro à cause de l’exclusion du peuple, le lendemain, des dizaines de milliers de Zimbabwéens viennent vibrer avec celui dont la chanson « Zimbabwe » est devenue l’hymne de leur armée de libération. En novembre 1980, quelques mois avant sa mort, Bob Marley se fait baptiser à l’Église orthodoxe éthiopienne de New York sous le nom de Berthane Sélassié. Ultime hommage et fidélité à l’Afrique. Ce n’est pas par hasard que, le 6 février 2005, 300 000 personnes ont assisté sur Meskel Square, la plus grande place d’Addis-Abeba, à un mégaconcert à l’occasion du soixantième anniversaire de sa naissance.