La Libye s’enfonce dans une crise économique et politique sans précédent après l’échec des autorités à lever le blocage des principaux terminaux pétroliers du pays par des autonomistes et la mobilisation de partis politiques pour faire tomber le gouvernement.
Des gardes des installations pétrolières bloquent depuis fin juillet trois ports pétroliers dans l’est libyen, provoquant une chute de la production de pétrole à 250 000 barils/jour, contre près de 1,5 million b/j avant le début de ce mouvement.
Ce riche pays pétrolier dépend exclusivement de ses revenus d’hydrocarbures, qui représentent plus de 96% de son Produit intérieur brut.
Les pertes occasionnées par la crise sont de plus de 9 milliards de dollars, selon les dernières estimations du ministère du Pétrole.
La situation devient de plus en plus critique. Le gouvernement risque de recourir à des prêts pour pouvoir honorer ses engagements, a averti le représentant d’une institution financière internationale en poste à Tripoli.
Initialement, les protestataires -des hommes lourdement armés- accusaient le gouvernement de corruption, évoquant des malversations sur les quantités de brut chargées sur les pétroliers.
Tout en réfutant ces accusations, le gouvernement central avait annoncé l’ouverture d’une enquête. Mais cette initiative n’a pas satisfait les protestataires qui ont rapidement affiché leurs véritables intentions en réclamant l’autonomie de leur région, la Cyrénaïque, dans le cadre d’un système fédéral.
Leur chef, Ibrahim Jodhrane, s’était d’ailleurs autoproclamé en août président d’un bureau politique de la Cyrénaïque, avant d’annoncer en octobre la formation d’un gouvernement local.
Option militaire ?
Le Premier ministre, Ali Zeidan, a refusé de négocier avec ce gouvernement autoproclamé, considéré par Tripoli comme illégal, tout en donnant son feu vert à des médiations du Congrès général national (CGN, Parlement) et de tribus. Ces tentatives n’ont pas trouvé écho auprès des protestataires qui exigent entre autres l’attribution à la région de la Cyrénaïque de sa part des revenus pétroliers.
M. Zeidan a multiplié les menaces d’un recours à la force contre les protestataires, sans toutefois passer à l’action par crainte, selon lui, d’une effusion de sang.
Si le gouvernement choisit l’option militaire pour lever le blocus, il complique la situation et risque de faire entrer le pays dans une phase encore plus critique, estime Khaled Al-Ballab, professeur de sciences politiques à l’Université al-Margab, dans l’est du pays.
Les partisans de l’autonomie de la Cyrénaïque se sont imposés comme une entité politique. Il faut donc traiter et négocier avec eux, a-t-il ajouté.
Mais les protestataires ont choisi l’escalade, en annonçant début janvier leur intention de vendre eux-mêmes le brut.
Mercredi, M. Zeidan a qualifié cette annonce de tentative d’atteinte à la souveraineté nationale et a menacé de faire couler tout navire qui tenterait de rallier les ports contrôlés par les protestataires.
Les détracteurs d’Ali Zeidan au Congrès accusent le gouvernement de faiblesse et le critiquent notamment pour ne pas avoir pu rétablir la sécurité dans le pays, en proie à l’anarchie depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
Seuls maîtres à bord
Des députés tentent depuis des mois de faire tomber le gouvernement, sans toutefois réussir à rassembler le nombre de voix requis.
Une motion de censure envisagée par 72 députés, la plupart du Parti de la justice et de la construction, issu des Frères musulmans, n’a pas abouti jusqu’ici faute de consensus.
M. Zeidan, un indépendant, a estimé mercredi que ses détracteurs formaient une minorité au CGN et, tout en défendant le travail de son gouvernement, a annoncé un prochain remaniement ministériel.
"Le Congrès n’est pas en mesure de provoquer la chute du gouvernement pour la simple raison qu’il est incapable de s’entendre sur un remplaçant à M. Zeidan", a estimé l’analyste libyen Fraj Najm.
La grogne monte également contre le Congrès après l’adoption fin décembre par cette instance d’une résolution prolongeant son mandat -qui devait s’achever en février- jusqu’au 24 décembre 2014.
Certains membres du Congrès veulent se débarrasser du gouvernement pour justifier la prolongation de leur mandat et se présenter comme les seuls maîtres à bord, selon M. Najm.
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