L’émergence récente, dans le champ de la dissidence, du concept de Base Autonome Durable, à l’initiative des co-auteurs de G5G (la guerre de cinquième génération), et sa popularisation par notre camarade P. San Gorgio dans son excellent livre « Survivre à la l’effondrement économique », est une véritable bénédiction ; c’est la possibilité enfin offerte de penser une alternative concrète, pertinente, efficace, globale et radicale au devenir misérable que l’adversaire - l’oligarchie mondialiste - a imaginé pour nous.
Accessoirement, et ce n’est pas le moindre, la BAD met également à notre portée un cadre conceptuel approprié et réaliste pour affronter avec le maximum d’efficacité possible les évènements à venir, à savoir l’effondrement économique et civilisationnel qui menace et auquel il est urgent de se préparer.
Certes, dans la phase d’aggravation de la crise, il y aura encore des marges de manœuvre et des possibilités de rebond pour les plus conscients, les plus forts, les mieux préparés et organisés, cependant, pour reprendre les paroles d’une célèbre chanson : « le temps perdu ne se rattrape guère ». Si l’on s’en tient à l’avis des personnes les mieux renseignées sur le sujet, nous disposons actuellement d’une fenêtre de tir favorable de quelques années tout au plus (5 à 10 ans maximum selon P. San Gorgio) pour nous préparer. Après le « déclenchement des hostilités », tout sera rendu plus difficile : appauvrissement généralisé, dégradation du cadre économique et social, difficultés d’accès renforcées aux technologies et matériels de survie positive3, raréfaction de l’énergie, difficultés de transport, augmentation de l’insécurité, risque d’instauration de dispositifs policiers de contrôle des individus et des groupes, etc…
Il est donc parfaitement pertinent de chercher à anticiper d’ores et déjà ces développements futurs et de commencer à s’y préparer avec le maximum de sérieux et d’efficacité.
L’intérêt, voire l’enthousiasme, généré par la question de la BAD chez beaucoup d’entre nous (cf. le succès commercial et médiatique du livre de P. San Gorgio) témoigne qu’un tel besoin existe. Dans les années à venir, celui-ci devrait susciter beaucoup de vocations pionnières. Pour autant, il ne faudrait pas que l’engouement légitime qui entoure ces questions nous empêche de mesurer les difficultés et problèmes liés à sa réalisation, et donc de mettre en place les actions et stratégies qui permettront d’y faire face avec le maximum d’efficacité afin de finalement les surmonter, faute de quoi nous risquerions bon nombre de désillusions et d’échecs, au seul bénéfice de l’Adversaire (2).
A cet égard, la récente et passionnante conférence de Nantes (3) offre de nombreuses pistes de réflexion à tous ceux qui se sentent appelés à s’engager dans ce type d’aventure humaine.
Dans un premier temps, de façon fort logique, la question des moyens, du « où », du « comment » et du « combien », ont tendance à retenir l’essentiel de nos préoccupations et à faire écran au problème principal. Pourtant, comme A. Soral et P. San Gorgio ont très justement tenté de nous le faire toucher du doigt, la question centrale se situe ailleurs, à savoir dans notre aptitude à porter nos capacités humaines à la hauteur des enjeux inhérents à ce type de projets. C’est de l’adéquation homme/projet dont il est question ici : Sparte eut-elle été ce qu’elle fut sans cette race d’hommes hors du commun qui composaient les phalanges spartiates ?
Afin de penser correctement ces aspects, il n’est pas inutile d’aller chercher là où elles se trouvent, c’est-à-dire dans l’expérience des communautés humaines ayant le mieux su résister à la déferlante spectaculaire du monde de la marchandise, les informations qui nous permettront d’alimenter notre propre réflexion et de donner les réponses intellectuelles et matérielles qui nous correspondent à des questions telles que :
- Quelles solutions anthropologiques adopter, à savoir quel individu pour quelle société ?
- Quelles structures et quelle organisation de groupe ?
- Quel modèle économique et quels dispositifs financiers ?
- Quelle conception du travail pour quel type d’activités ?
- Propriété individuelle et bien commun
- Principes de vie communautaire
- Mode de gestion des conflits inter-humains
- Prise de décision et contrôle démocratiques
- Relations et échanges avec le monde extérieur
- Dispositifs de protection/sécurisation des acquis communautaires (biens et personnes)
- Organisation en réseaux de solidarité et de subsidiarité
- Relation ville /campagne
- Etc.
Au fil de l’Histoire moderne, certains individus, groupes humains et même peuples, ont su percevoir en pleine conscience la face hideuse, totalitaire et mortifère du mode de vie et de développement occidental qu’on leur imposait, le plus souvent par la force. Ils ont su développer des stratégies de résistance à la dissolution dans l’indifférencié, stratégies qui pourraient être pour nous autant de sources d’inspiration possibles.
Schématiquement, il existe trois types de sources d’inspiration répondant à ces critères, à des degrés divers et variés.
1. La source utopique
Née de l’imagination d’un individu particulièrement sensible et éveillé à une problématique, et parfois aussi de son vécu, l’Utopie est une construction intellectuelle pouvant recéler des intuitions intéressantes. Dans le cadre qui nous intéresse ici, on retiendra plus particulièrement l’Utopie forgée par Jean Giono dans le sublime « Que ma joie demeure » (4). Publié en 1935, l’ouvrage est une réflexion morale, sociale, économique et finalement politique, à travers laquelle l’auteur formule, sur un mode poétique, la vision socialiste, enracinée, anti-productiviste, communautaire et paysanne qu’il oppose au modèle d’organisation et de développement industriel productiviste du socialisme soviétique, porté en France par le PCF de l’époque avec lequel il avait rompu en 1934. Il n’est pas interdit d’imaginer que les « Rencontres du Contadour », pensées et voulues par Giono, n’étaient rien d’autres que les prémisses à la mise en œuvre d’une tentative de contre-modèle socialiste alternatif, anarchiste, communautaire, conservateur/traditionaliste et paysan ; Une BAD avant l’heure en quelque sorte. La guerre sera venue briser net cette espérance.
Un projet comme celui-là est très proche, dans l’esprit, des visions développées plus tôt en Russie par un Tolstoï (5) et quarante ans plus tard, en Italie, par Pier Paolo Pasolini.
2. La source traditionnelle
C’est un fait, l’avancée planétaire du triptyque moderne infernal - capitalisme marchand, religion du Progrès et Libéralisme philosophique -, s’est toujours réalisée au détriment des sociétés et des modes de vie traditionnels auxquels il s’est heurté, qu’il a combattus, soumis ou détruits, tant il est vrai que ces deux principes s’excluent ontologiquement l’un l’autre conformément au précepte « Celui qui n’est pas avec Moi est contre Moi », principe dont l’Empire a toujours su faire un usage conforme à ses intérêts. C’est donc de guerre dont il s’agit et celle-ci ne se mène pas avec des fleurs comme peuvent en témoigner les peuples amérindiens, par exemple. Elle a pour but de soumettre l’autre à ses propres impératifs ou de le faire disparaître physiquement, culturellement et spirituellement. Dans ce combat dissymétrique, quelques peuples ont pourtant refusé de s’effacer et de renoncer à exister tels qu’en eux-mêmes. Pour cela, ils ont adopté des stratégies d’évitement, de conservation/préservation qui sont donc avant tout des stratégies de survie en milieu hostile, en l’occurrence en milieu capitaliste/consumériste avancé.
Dans le cadre de cet exposé, nous retiendrons surtout l’exemple des Kogis de la Sierra Nevada de Santa Marta, au nord de la Colombie, et celui des Bishnoï du Rajasthan.
Toutefois, ce que ces peuples ont à nous apprendre devra toujours être relativisé par le fait qu’ils sont issus directement du monde ancien de la Tradition et donc que leur modèle anthropologique produit des individus inscrits « naturellement » en rupture avec les habitus de vie de la société de consommation, ce qui n’est bien sûr pas notre cas.
3. La source alternative
C’est celle dans laquelle nous nous inscrivons nous-mêmes. Ici, il s’agit de s’extraire d’une réalité qui nous enveloppe et nous façonne du dehors et du dedans. Seule la manifestation en nous d’une instance supérieure ; la conscience du Bon, du Bien et du Beau (6), nous donne l’impulsion de refuser cette déchéance de l’Etre soumis au monde de la marchandise pour elle–même et par elle-même et à sa mise en scène, le Spectacle, dont la logique finale tend à confisquer à l’humain le principe de vie pour le transférer, dans sa version dégradée voire inversée, vers le non-humain ou ce que les auteurs de G5G nomment le Machinal (d’autres diraient du divin vers le satanique).
Pour les individus soumis à l’attraction du modèle de consommation capitaliste, comme les astres sont soumis à l’attraction de l’étoile centrale d’un système planétaire, il est extrêmement difficile de s’en échapper (7). Cela nécessite beaucoup d’énergie, en l’occurrence beaucoup d’énergie de conscience, et beaucoup de méthode.
Ainsi, compte tenu de la difficulté, les exemples d’individus ou de communautés y étant parvenus durablement et significativement, sont extrêmement limités. Pour reprendre une formule en vigueur au sein de l’une de ces communautés, il s’agit de réussir ni plus ni moins le tour de force consistant à « être dans le monde sans être avec le monde ». Parmi les exemples à notre disposition, nous en retiendrons deux : celui des communautés Anabaptistes d’Amérique, et des Amish en particulier, et celui plus moderne de la communauté mondiale du christianisme des origines dont la base principale est située dans le centre de l’Allemagne.
Avant d’observer plus en détails ces différents types de contre-modèles, remarquons d’ores et déjà qu’ils se caractérisent par certaines constantes anthropologiques dont on peut, dès lors, subodorer que, par leur combinaison croisée, elles contribuent de façon déterminante à la capacité de résistance d’un système humain face aux assauts du rouleau compresseur capitaliste marchand :
- Tous ces modèles mettent en avant les notions de communauté ainsi que de bien-commun et fonctionnent selon les principes du don et du contre-don. Elles échappent donc à la logique de la « forme-capital ».
- Toutes ces communautés sont reliées physiquement et spirituellement à un territoire. L’activité économique et la vie de ces communautés sont organisées principalement autour de l’agriculture, c’est-à-dire en relation consciente et sacrée avec la nature.
- Toutes ces communautés prônent le contrôle des passions humaines excessives ainsi que la maîtrise et la régulation des désirs matériels (l’hybris des grecs).
- A des degrés divers, chacune de ces communautés inscrit son existence et celle des individus qui la compose dans le cadre d’une conception globale fondée sur le principe d’unité et de respect de la vie sous toutes ses formes : L’ « organisme » constitué par la communauté des hommes s’inscrit harmonieusement dans le fonctionnement organique de la nature et de la Terre qui, lui, est enchâssé dans le mouvement du cosmos.
- Ces communautés sont toutes structurées autour d’un fort système de valeurs et de représentation partagé sans retenue par chacun de leurs membres. Ces systèmes de valeurs forment une totalité symbolique – un ordre et des lois - dont le principe central est de nature spirituelle.
- L’implication personnelle de chacun des membres de ces communautés à l’égard de celles-ci et de leur système de valeurs et de représentation respectif, est totale, sur le plan extérieur et surtout du point de vue de l’adhésion intérieure (intellectuelle, morale, spirituelle et affective). Elle inclut, en dernière instance, la notion de sacrifice.
(1) La survie positive est celle dont l’objet est supérieur à elle-même ; ici on ne survit pas seulement pour prolonger son existence misérable le plus longtemps possible et quel qu’en soit le prix (ce qui constitue au demeurant le réflexe le plus normal qui soit), mais parce que l’acte de vivre participe d’un projet qui nous dépasse et dans lequel nous sommes inscrits comme la partie est inscrite dans le Tout et le Tout dans la partie.
(2) Le terme d’ « Adversaire » s’applique au principe dynamique qui habite l’Empire, qui le façonne et lui communique son énergie, sa direction, sa forme et son objet, en conformité avec sa nature. Dans le cadre de son travail théorique sur l’unité du Libéralisme, J.C. Michéa recourt à la notion de « logique » pour indiquer que celui-ci est mû par une dynamique qui lui est propre et qui œuvre inlassablement à la réalisation de ses buts spécifiques, ces derniers finissant toujours par s’imposer aux individus (qu’ils s’inscrivent positivement ou non dans le mouvement du Libéralisme), indépendamment des appréciations, conceptions ou représentations personnelles de ces derniers à son égard. Cette « logique » à l’œuvre dans le champ énergétique du Libéralisme, s’apparente d’un certain point de vue, dans son mode opératoire, à l’intelligence collective observable chez certains insectes comme la fourmi : En effet, bien qu’aucune fourmi ne dispose de la vision d’ensemble de la fourmilière, chaque action de chaque fourmi concoure immanquablement à la réalisation du projet global. Ainsi, face au mouvement néguentropique qui pousse les gens simples, les braves gens, à agir quasi « de soi-même » selon les valeurs morales du bien commun, il existerait un mouvement symétriquement inverse dont la dynamique propre répondrait au principe d’anthropie. Dans la mesure où Orwell a donné le nom de « Common decency » au premier de ces principes, son symétrique inversé pourrait donc être qualifié de « Common undecency » si toutefois cette forme d’indécence était vraiment commune, ce qui n’est heureusement pas encore totalement le cas. Quant à lui, le christianisme considère que le premier de ces principes émane d’une source - l’Amour qui unit - constituant la force principale à l’œuvre dans l’ensemble de la création divine matérielle et spirituelle, alors que son principe inversé, la force qui « sépare, lie et domine » procède elle d’une énergie et d’un principe de conscience opposés à qui les chrétiens ont donné le nom de « Satan ».
(3) Conférence d’Alain Soral & Piero San Giorgio : Comprendre l’Empire et y survivre : http://www.egaliteetreconciliation....
(4) Jean Giono, « Que ma joie demeure » au Livre de poche, Editions Grasset
(5) Dans les dernières années de sa vie, Marx s’est sérieusement intéressé à l’expérience de ces communautés villageoises russes ainsi qu’aux conceptions développés par Tolstoï, semblant remettre en cause, au moins partiellement, certains aspects de sa théorie. Malheureusement, ce travail est resté largement inabouti et donc méconnu, en raison de sa mort.
(6) Rousseau la nomme « volonté générale », Orwell « Common decency », les chrétiens y voient la « présence de Dieu en nous »
(7) Ici, il ne faut pas confondre l’astre central avec le Système. Celui-ci inclut l’ensemble des éléments qui le composent – astre central et satellites - mais également les forces qui interagissent entre ces éléments et les maintiennent dans des relations de dépendance et d’échange. En s’éloignant de l’astre central on n’en reste pas moins dans le Système. Se contenter de changer d’ellipse constitue sans aucun doute une performance remarquable mais, au final, cela reste sans conséquence, et donc sans danger pour le système, du point de vue de sa perpétuation.
Découvrir "Survivre à l’effondrement économique" de Piero San Giorgio, sur Kontre Kuture :