Sur France 2, Arlette Chabot animait un « A vous de juger » spécialement consacré à la question sociale de la rentrée. A défaut de débat rendu difficile par le refus du premier ministre, on a eu droit, via une série de duplex, aux évidences habituelles sur un « problème compliqué »...
C’était jeudi soir fête sur France 2. Tatie Arlette (Chabot) nous invitait à swinguer sur l’air des retraites, celui qui est à la mode depuis la rentrée. Cela vaut bien tous les nouvel an du monde, non ? On se mit donc devant son étrange lucarne, avec les pieds dans les chaussons et un coussin derrière le dos. Le programme nous promettait du Fillon, du Woerth, du Chérèque en duo avec Thibault, et même Ségolène Royal pour mettre le feu.
Surprise, pour mettre encore plus d’ambiance, Arlette Chabot avait invité Jean Boissonnat, qui fut une gloire du journalisme économique dans les années 70, lorsqu’il avait fondé le magasine « L’Expansion » (on croyait au progrès à cette époque). Boissonnat à l’écran, le message subliminal était évident : à 81 balais dépassés, il est la preuve vivante qu’on peut travailler bien après 60 ans. Arlette Chabot commença l’émission, en s’adressant au Premier ministre, : « Vous êtes 100% d’accord avec ce que propose le président de la République, bien sûr ? » Un instant on se demanda si c’était une question, ou bien un ordre….
François Fillon commença donc à répondre avec précision et clarté aux questions de Jeannot et Arlette. C’était pointu. Jean Boissonnat évoqua le taux de croissance, bien trop haut, Fillon exposa les scénarios « optimistes et plus dégradés », puis nous expliqua qu’un régime de retraites par répartition est « un système contributif robuste ».
Fallait pas en rater une seconde pour ne pas être largué. A 8h 52 minutes, on en était déjà au fonds de réserve des retraites, puis on enchaînait sur le Cor (de chasse, au pied ? se demandait le téléspectateur ébaudi). Un court plan de coupe sur la brochette considérable de ministres et hommes ou femmes politiques de droite assis en rangs d’oignon dans le studio, nous montra l’effet sur l’auditoire : Nadine Morano s’ennuyait ferme. Gérard Larcher avançait une lippe boudeuse qui signifie chez le président du Sénat une irrésistible envie d’aller dîner.
François Fillon, il faut le dire a un problème avec la télévision : Avec son look de gendre idéal, même à 57 ans, sa connaissance parfaite du dossier , son élocution impeccable, il fait vite, disons …emmerdant. A 9 heures, Arlette tentait de rattraper son émission : « je résume pour qu’on comprenne bien : vous ne bougerez pas ! » Et notre Fillon de soupirer : « il n’y a pas de solution miracle ». On ne comprit pas pourquoi, à ce moment, Roselyne Bachelot, derrière lui, se marrait franchement.
Boissonnat tenta une sortie « de gauche » (pour ceux, trop jeunes, qui ne le connaissent pas, Jeannot, ce serait un peu le père spirituel d’Alain Minc), mais aussi de bon sens : « pourquoi ne pas suspendre le bouclier fiscal pour quelques années, cela ferait rentrer quelques milliards ? » Fillon répliqua « pour taxer les riches, encore faudrait-il qu’il y en ait ». C’était envoyé. Boissonnat tenta la riposte en lui balançant dans les dents : « et comment allez-vous améliorer l’emploi des seniors ». Réponse du Premier ministre de la France : « il faudrait mieux intégrer les salariés les plus âgés ». Les quinquas et les immigrés, c’est du pareil au même , faut qu’ils « s’intègrent ». La caméra montra Bernard Thibault, dans le studio d’à côté. Sur ses lèvres on pouvait lire distinctement : « là, il se fout de notre gueule… »
A 21h12, Arlette Chabot s’inquiéta : « vous allez bien leur lâcher quelque chose » aux syndicats ? Du genre : pitié, faites une annonce, sinon l’audimat va creuser le fond de l’océan… Héals, il n’y eu pas d’annonce. Pas plus sur une réforme de la réforme des retraites que sur son éventuel départ de Matignon, ni sur le remaniement pourtant annoncé, ni sur le pactole de Bernard Tapie ou le scandale Bettencourt. A 21 h 30, le ron-ron s’arrêta.
Par contraste, Bernard Thibault et François Chérèque apparurent percutants. Représentants de quelque 2,5 millions de manifestants, ils eurent droit à quelques minutes de figuration intelligente. C’était toujours ça de pris.
Ségolène Royal s’installa ensuite dans le fauteuil où François Fillon peinait quelques instants auparavant. Un moment on craignit le pire : « Il n’y a pas de réponse à un problème complexe », dit –elle. Cela semblait reparti pour un tour. Puis elle bifurqua. La présidente de Charentes-Poitou en appela aux mânes de François Mitterrand, racontant le dernier conseil des ministres du défunt président, en 1993 : « Il nous a légué un talisman politique : vous verrez nous dit-il, que la droite fera tout pour remettre en cause la liberté de prendre sa retraite à 60 ans. Vous vous battrez le dos au mur… ». On a failli pleurer.