Nous avons consulté l’intégralité du dossier judiciaire de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, pour la première fois rassemblé et exhumé par le tribunal de grande instance de Nice. Le terroriste qui a tué 86 personnes le soir du 14 juillet 2016 a été impliqué dans cinq affaires : violences conjugales, menaces de mort, agressions, etc. Des soupçons de troubles psychologiques étaient connus de la police et de la justice niçoises dès 2010, sans qu’il ne soit jamais pris en charge sur le plan de la santé mentale…
Édifiant. Cette partie du tableau était jusqu’à présent incomplète. Les témoignages de ceux qui l’ont croisé, sa famille proche ou éloignée, avaient décrit Mohamed Lahouaiej-Bouhlel comme un homme vicelard, violent et pervers. Ce portrait d’une personnalité « borderline », au déséquilibre mental manifeste, se précise aujourd’hui, un an et demi après l’attentat de Nice qui a fait 86 morts, à la lumière du dossier judiciaire du terroriste que nous avons consulté.
Nous avons épluché des centaines de pages compilant les cinq procédures répertoriées le mettant en cause avant ce 14 juillet 2016, date à laquelle il décide de prendre un camion et de foncer dans la foule sur la Promenade des Anglais. Ces pièces de procédure ont été exhumées et rassemblées au mois d’octobre dernier par le tribunal de grande instance de Nice qui a, en outre, récupéré auprès du pôle des affaires familiales la procédure de divorce avec sa femme.
Certains de ces parcours de vie étaient déjà connus. D’autres peu ou pas du tout. C’est la somme de ces éléments qui, mis bout à bout, est vertigineuse. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel était pourtant passé devant plusieurs médecins, policiers, avocats ou magistrats, mais aucun d’entre eux n’a imaginé un seul instant son périple meurtrier. Personne, non plus, n’a jugé bon de le confier à un psychiatre. Et ce, malgré plusieurs alertes.
« Nous savons que cet homme peut être dangereux »
La première d’entre elles remonte à l’année 2010. Jean-Marie R., un moniteur de sport, fonctionnaire de la Ville de Nice, porte plainte au commissariat pour « menaces de mort » contre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Ce dernier vient d’être exclu de la salle de sport pour un comportement agressif envers les autres adhérents, en particulier les femmes. Selon le plaignant, il l’a tenu responsable de cette éviction. Il l’a suivi à plusieurs reprises dans les transports de la ville jusqu’à le menacer : « Je vais t’égorger, toi et les tiens, je vais vous tuer », rapporte-t-il.
Le 16 décembre 2010, Jean-Marie R. écrit au commissariat central :
« Cette personne, dont les agissements dénotent un déséquilibre mental certain, a fait l’objet de nombreux avertissements. […] Nous savons par expérience que cet homme peut être dangereux. À mon égard mais aussi pour mes enfants », écrit-il.
Puis le 21 février 2011, auprès du procureur de la République : « J’ai déjà signalé […] le déséquilibre mental certain dont fait preuve cet individu. »
Dans cette procédure, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, qui a nié les faits qui lui étaient reprochés, a fait l’objet d’un simple rappel à la loi par l’officier de police judiciaire le 22 juin 2011. Aucune mesure supplémentaire n’a été prise, si ce n’est l’exclusion définitive des clubs de sport de la Ville de Nice.
« Nous ne sommes pas en sécurité »
Moins de trois mois plus tard, les policiers interviennent au domicile des Bouhlel. En cause, un différend familial qui vire à l’affrontement. Ils y trouvent Hajer, sa femme, en pleurs, affirmant que son mari vient de lui asséner plusieurs coups de poing. Malgré la confirmation par des témoins, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel nie les faits. L’affaire s’achèvera sur une simple médiation pénale, le suspect promettant de ne plus lever la main sur sa femme. Pourtant, il la tapera quotidiennement ainsi que ses enfants pendant trois ans. Sans qu’aucun service social ou association ne détecte l’enfer quotidien que cet homme fait vivre à sa famille.
Le 26 août 2014, Hajer craque. Elle se rend au commissariat pour déposer plainte. Sept jours plus tôt, à 6h10 du matin, son mari est entré dans la chambre, aviné et mort de rire, en vidant son verre de vin sur ses pieds, avant d’uriner sur ses jambes. Le soir, il revient à la charge : « Tu devrais aller voir dans la chambre, j’ai une surprise pour toi ». Hajer poursuit sa déposition :
« Je m’y suis immédiatement rendue et j’ai constaté qu’il avait déféqué sur le sol de notre chambre. Je l’entendais rire derrière la porte. […] Il s’adresse à nous en ces termes : “Quand je reviens, si je vous trouve ici, je vous tue toi et tes filles”. »