L’interview que j’ai accordée au Nouvel économiste a suscité de nombreuses réactions, allant de l’acquiescement à la réprobation et posant, chemin faisant, de nombreuses interrogations. C’est pourquoi il me semble utile de bien préciser ma pensée tout en notant que le journaliste a respecté ma façon d’être et mes points de vue.
Je pense que les questions de l’industrie, de la production, de la plus-value, du profit deviennent un enjeu révolutionnaire. Une approche nouvelle, libérée de nos dogmes des années 1960-1970, est indispensable pour répondre aux contradictions fondamentales d’un capitalisme en pleine expansion financière mais qui, parallèlement se détruit, tend à se nier, étouffant l’économie industrielle pour satisfaire sa soif de profits immédiats. La contradiction capital/travail demeure au cœur de la société, exacerbée comme jamais, appauvrissant tendanciellement le travail, les métiers, l’innovation, les hommes et les pays à force de n’en prélever que la crème la plus juteuse.
Partons d’une question simple et actuelle : l’alliance entre le monde du travail et les patrons producteurs – par opposition aux gérants de la finance – est-elle nécessaire, judicieuse, souhaitable ou, au contraire, à proscrire totalement ? N’est-ce pas la négation pure et simple de la lutte des classes ?
On ne peut répondre à cette question d’un point de vue communiste qu’en étudiant les évolutions du capitalisme dans un pays développé comme la France et en définissant clairement notre projet de société.
Dans mon livre « Et si le capitalisme avait fait son temps », publié en 2004, j’abordais la question du capitalisme contemporain en ces termes : « Le capitalisme est de plus en plus marqué par la dictature de la finance. Le profit financier prend le dessus dans le processus de mondialisation. Le marché est devenu un instrument. Il existe à la fois une loi du marché et une dictature de la bourse. C’est cette tendance dominante qui ficelle le développement économique des pays. C’est un cancer qui remet en cause pour une part, le capitalisme industriel, le capitalisme des métiers, le capitalisme des savoir-faire. La culture du capitaine d’industrie n’existe quasiment plus dans les grandes entreprises. »
J’ai visité cette semaine l’usine Yoplait du Mans, une usine moderne et performante. J’ai été reçu par des syndicalistes CGT combatifs et revendicatifs, notamment sur la question des salaires, dans un syndicat d’entreprise bien implanté qui vient de recueillir 300 voix des 330 salariés de l’entreprise. J’ai été reçu également par le directeur de l’entreprise, un homme qui manifestement a son métier à cœur.
Que retenir ? La contradiction capital/travail est bien réelle dans l’entreprise et s’exprime dans des luttes sociales. L’affrontement entre salariés et patron n’est pas feint. Mais il se déroule sur un fond d’inquiétude commun : les marchés financiers qui spéculent à tour de bras, mondialement, sur les produits alimentaires constituent une menace pour la pérennité d’une entreprise qui tourne pourtant bien, qui produit propre et utile.
La loi du marché n’est plus ce qu’elle était. Les dés sont pipés. La spéculation financière pourrit les marchés et menace la production. Le lait est cher non pas en raison d’un mal mystérieux qui rendrait les vaches moins productives mais parce que la rareté a été organisée pour faire monter les prix. Résultat à l’autre bout de la chaîne, les consommateurs achètent moins de yaourts, provoquant l’inquiétude chez Yoplait.
Défendre les productions, développer une politique industrielle fait partie des tâches qui incombent aux révolutionnaires. La République sociale, le socialisme que nous voulons ne se fera pas sans les Yoplait, à la fois pour l’emploi et la satisfaction des besoins. Le communisme que nous concevons repose sur un développement conséquent des forces productives et l’abondance qui en résulte.
Dans le livre I du Capital, Marx analyse la valeur des marchandises sous un double jour : valeur d’usage et valeur d’échange. L’antagonisme entre l’une et l’autre n’a jamais été aussi grand, au point de quasiment nier la valeur d’usage au nom de la valeur d’échange. Or sans valeur d’usage, quel échange peut subsister ? Nous sommes bien au cœur de la contradiction qui mine le capitalisme et plonge des milliards d’individus dans la misère.
Partant de ces réalités, j’assume entièrement ma proposition de rechercher des alliances politiques avec le monde du travail, ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs, cadres et des patrons qui continuent d’investir dans la production de marchandises utiles au bien être des hommes et au développement de la société française, contre les délocalisations. Puisqu’on parle beaucoup en ce moment du rôle des grandes surfaces dans la baisse du pouvoir d’achat, il faut savoir que les patrons de la grande distribution ont largement déserté le terrain de la production pour s’investir dans le commerce et la finance. Ils répondent en cela à la tendance mondiale qui pousse les capitalistes à accumuler des profits en jouant des mécanismes spéculatifs et des rapports de force, sans extorquer eux-mêmes la plus-value qui se réalise dans la production.
Après les « 30 glorieuses » de l’après guerre, nous avons sombré dans les 30 décadentes, au milieu des années 1970. Les aspirations de 1968 pour une individualité mieux épanouie et plus assumée ont été dévoyées dans l’individualisme, l’égoïsme, le chacun pour soi, au nom de la société de consommation chargée de pérenniser les taux de profit du capital. Se sont développées des zones de profits aussi fabuleuses que parasites, hors industrie, dans des activités telles le sport, le jeu, les trafics, la drogue, les médias, les « people », engendrant une idéologie du superficiel au détriment des questions sociales et des questions de classes. Car, naturellement, il n’y a plus de classes !
Ce n’est pas nier la lutte des classes que de prendre en compte l’ensemble des contradictions qui travaillent la société. Pas plus que nos aînés n’ont trahi les principes du communisme en faisant alliance dans la Résistance avec les Gaullistes, nous ne les saborderions en préconisant une politique d’union du peuple de France audacieuse.
Le projet de société que nous défendons repose sur quelques principes simples : maîtrise sociale et publique de la production. Cela suppose de remettre la finance à sa place : celle d’un levier pour développer les productions utiles et la promotion des hommes. Il faut donc acquérir une maîtrise sociale et publique de l’argent au détriment des spéculateurs, fussent-ils des fonds de pension.
L’alibi des retraités anglo-saxons qui « bénéficient » de ces revenus ne tient pas la route. Le système engendre trop de dégâts et trop de misère. Il appartient aux peuples de ces pays de trouver des solutions pour ne pas faire supporter à d’autres leurs financements sociaux. Songeons qu’en France, nous finançons deux fois les retraites : une fois les nôtres par le biais des charges sociales, et une deuxième fois celles de pays où s’exerce la retraite par capitalisation, via des prélèvements sur les profits réalisés dans les entreprises que les fonds de pension ont acquis dans notre pays.
Pour remettre les pendules à l’heure, l’intervention de l’Etat est nécessaire. Les alliances sont indispensables pour conquérir le pouvoir dans la perspective d’une maîtrise publique de l’argent. Elles doivent être pensées et organisées en ce sens. C’est affaire de luttes sociales tout autant que d’un immense combat politique.
La droite ne le veut pas pour des raisons de classe historiques. La gauche non plus, le PS par renoncement, par adaptation et abandon définitif de la lutte des classes et du mot « révolution ». Reste le peuple qui souffre et rue dans les brancards. Le PCF doit se ressaisir en proposant une union audacieuse du peuple de France. Il s’agit bel et bien d’aller à la conquête des pouvoirs politique, économique et financier. Les classes populaires, le monde du travail ont cette mission historique à accomplir : faire entrer la République dans la sphère monarchique de l’économie et de la finance. De ce point de vue, il est grand temps de faire voler en éclat la pensée unique.
Dans la France, pays capitaliste développé, nous sommes arrivés à un point de rupture radical. Une alternative est une absolue nécessité pour sauvegarder non seulement l’héritage du mouvement ouvrier mais aussi le meilleur de 1789, de tout ce qu’il y a de progressiste dans notre passé républicain, le meilleur du siècle des lumières.
André Gérin, député-maire de Vénissieux et candidat au poste de Premier secrétaire du Parti communiste, le 11 juin 2008
Je pense que les questions de l’industrie, de la production, de la plus-value, du profit deviennent un enjeu révolutionnaire. Une approche nouvelle, libérée de nos dogmes des années 1960-1970, est indispensable pour répondre aux contradictions fondamentales d’un capitalisme en pleine expansion financière mais qui, parallèlement se détruit, tend à se nier, étouffant l’économie industrielle pour satisfaire sa soif de profits immédiats. La contradiction capital/travail demeure au cœur de la société, exacerbée comme jamais, appauvrissant tendanciellement le travail, les métiers, l’innovation, les hommes et les pays à force de n’en prélever que la crème la plus juteuse.
Partons d’une question simple et actuelle : l’alliance entre le monde du travail et les patrons producteurs – par opposition aux gérants de la finance – est-elle nécessaire, judicieuse, souhaitable ou, au contraire, à proscrire totalement ? N’est-ce pas la négation pure et simple de la lutte des classes ?
On ne peut répondre à cette question d’un point de vue communiste qu’en étudiant les évolutions du capitalisme dans un pays développé comme la France et en définissant clairement notre projet de société.
Dans mon livre « Et si le capitalisme avait fait son temps », publié en 2004, j’abordais la question du capitalisme contemporain en ces termes : « Le capitalisme est de plus en plus marqué par la dictature de la finance. Le profit financier prend le dessus dans le processus de mondialisation. Le marché est devenu un instrument. Il existe à la fois une loi du marché et une dictature de la bourse. C’est cette tendance dominante qui ficelle le développement économique des pays. C’est un cancer qui remet en cause pour une part, le capitalisme industriel, le capitalisme des métiers, le capitalisme des savoir-faire. La culture du capitaine d’industrie n’existe quasiment plus dans les grandes entreprises. »
J’ai visité cette semaine l’usine Yoplait du Mans, une usine moderne et performante. J’ai été reçu par des syndicalistes CGT combatifs et revendicatifs, notamment sur la question des salaires, dans un syndicat d’entreprise bien implanté qui vient de recueillir 300 voix des 330 salariés de l’entreprise. J’ai été reçu également par le directeur de l’entreprise, un homme qui manifestement a son métier à cœur.
Que retenir ? La contradiction capital/travail est bien réelle dans l’entreprise et s’exprime dans des luttes sociales. L’affrontement entre salariés et patron n’est pas feint. Mais il se déroule sur un fond d’inquiétude commun : les marchés financiers qui spéculent à tour de bras, mondialement, sur les produits alimentaires constituent une menace pour la pérennité d’une entreprise qui tourne pourtant bien, qui produit propre et utile.
La loi du marché n’est plus ce qu’elle était. Les dés sont pipés. La spéculation financière pourrit les marchés et menace la production. Le lait est cher non pas en raison d’un mal mystérieux qui rendrait les vaches moins productives mais parce que la rareté a été organisée pour faire monter les prix. Résultat à l’autre bout de la chaîne, les consommateurs achètent moins de yaourts, provoquant l’inquiétude chez Yoplait.
Défendre les productions, développer une politique industrielle fait partie des tâches qui incombent aux révolutionnaires. La République sociale, le socialisme que nous voulons ne se fera pas sans les Yoplait, à la fois pour l’emploi et la satisfaction des besoins. Le communisme que nous concevons repose sur un développement conséquent des forces productives et l’abondance qui en résulte.
Dans le livre I du Capital, Marx analyse la valeur des marchandises sous un double jour : valeur d’usage et valeur d’échange. L’antagonisme entre l’une et l’autre n’a jamais été aussi grand, au point de quasiment nier la valeur d’usage au nom de la valeur d’échange. Or sans valeur d’usage, quel échange peut subsister ? Nous sommes bien au cœur de la contradiction qui mine le capitalisme et plonge des milliards d’individus dans la misère.
Partant de ces réalités, j’assume entièrement ma proposition de rechercher des alliances politiques avec le monde du travail, ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs, cadres et des patrons qui continuent d’investir dans la production de marchandises utiles au bien être des hommes et au développement de la société française, contre les délocalisations. Puisqu’on parle beaucoup en ce moment du rôle des grandes surfaces dans la baisse du pouvoir d’achat, il faut savoir que les patrons de la grande distribution ont largement déserté le terrain de la production pour s’investir dans le commerce et la finance. Ils répondent en cela à la tendance mondiale qui pousse les capitalistes à accumuler des profits en jouant des mécanismes spéculatifs et des rapports de force, sans extorquer eux-mêmes la plus-value qui se réalise dans la production.
Après les « 30 glorieuses » de l’après guerre, nous avons sombré dans les 30 décadentes, au milieu des années 1970. Les aspirations de 1968 pour une individualité mieux épanouie et plus assumée ont été dévoyées dans l’individualisme, l’égoïsme, le chacun pour soi, au nom de la société de consommation chargée de pérenniser les taux de profit du capital. Se sont développées des zones de profits aussi fabuleuses que parasites, hors industrie, dans des activités telles le sport, le jeu, les trafics, la drogue, les médias, les « people », engendrant une idéologie du superficiel au détriment des questions sociales et des questions de classes. Car, naturellement, il n’y a plus de classes !
Ce n’est pas nier la lutte des classes que de prendre en compte l’ensemble des contradictions qui travaillent la société. Pas plus que nos aînés n’ont trahi les principes du communisme en faisant alliance dans la Résistance avec les Gaullistes, nous ne les saborderions en préconisant une politique d’union du peuple de France audacieuse.
Le projet de société que nous défendons repose sur quelques principes simples : maîtrise sociale et publique de la production. Cela suppose de remettre la finance à sa place : celle d’un levier pour développer les productions utiles et la promotion des hommes. Il faut donc acquérir une maîtrise sociale et publique de l’argent au détriment des spéculateurs, fussent-ils des fonds de pension.
L’alibi des retraités anglo-saxons qui « bénéficient » de ces revenus ne tient pas la route. Le système engendre trop de dégâts et trop de misère. Il appartient aux peuples de ces pays de trouver des solutions pour ne pas faire supporter à d’autres leurs financements sociaux. Songeons qu’en France, nous finançons deux fois les retraites : une fois les nôtres par le biais des charges sociales, et une deuxième fois celles de pays où s’exerce la retraite par capitalisation, via des prélèvements sur les profits réalisés dans les entreprises que les fonds de pension ont acquis dans notre pays.
Pour remettre les pendules à l’heure, l’intervention de l’Etat est nécessaire. Les alliances sont indispensables pour conquérir le pouvoir dans la perspective d’une maîtrise publique de l’argent. Elles doivent être pensées et organisées en ce sens. C’est affaire de luttes sociales tout autant que d’un immense combat politique.
La droite ne le veut pas pour des raisons de classe historiques. La gauche non plus, le PS par renoncement, par adaptation et abandon définitif de la lutte des classes et du mot « révolution ». Reste le peuple qui souffre et rue dans les brancards. Le PCF doit se ressaisir en proposant une union audacieuse du peuple de France. Il s’agit bel et bien d’aller à la conquête des pouvoirs politique, économique et financier. Les classes populaires, le monde du travail ont cette mission historique à accomplir : faire entrer la République dans la sphère monarchique de l’économie et de la finance. De ce point de vue, il est grand temps de faire voler en éclat la pensée unique.
Dans la France, pays capitaliste développé, nous sommes arrivés à un point de rupture radical. Une alternative est une absolue nécessité pour sauvegarder non seulement l’héritage du mouvement ouvrier mais aussi le meilleur de 1789, de tout ce qu’il y a de progressiste dans notre passé républicain, le meilleur du siècle des lumières.
André Gérin, député-maire de Vénissieux et candidat au poste de Premier secrétaire du Parti communiste, le 11 juin 2008