Plusieurs personnalités estiment qu’en coopérant avec les Etats-Unis et l’Europe, l’Algérie devient une cible privilégiée pour le terrorisme international.
L’Algérie a-t-elle pris le risque de se « pakistaniser » ? C’est la crainte qui s’exprime au lendemain du choc. La crainte de voir le pays glisser sur une pente qui a fait du Pakistan un pays déliquescent, dont l’État central est incapable de contrôler son territoire national, un pays éclaté, dont la population est victime des luttes d’influence politiques et des surenchères religieuses, un pays sans boussole devenu le jouet de toutes les instrumentalisations géopolitiques.
« Cela fait des années que je me bats contre ce statut de gendarme dans lequel on veut enfermer notre pays, s’emporte l’ancien ministre et ambassadeur Abdelaziz Rahabi. Mais ce rôle de partenaire privilégié dans la lutte antiterroriste nous expose au terrorisme international, il engage notre responsabilité et des dépenses qui pourraient être attribuées à l’amélioration du quotidien des Algériens. » Après l’assassinat d’Hervé Gourdel, le guide de haute montagne de 55 ans, plusieurs personnalités dans la classe politique et dans la société civile estiment que l’Algérie est en train de « payer son étroite coopération avec les États-Unis et l’Europe dans la lutte contre le terrorisme international ».
Une collaboration (par le renseignement et le soutien logistique en particulier) devenue, en deux ans, de plus en plus étroite à la faveur de l’éclatement de la crise au Mali début 2012, de la prise d’otages de Tiguentourine en 2013 et de la chute des régimes libyen et tunisien. Vendredi dernier, le secrétaire d’État américain, John Kerry — venu pendant la campagne présidentielle pour demander à Alger d’être plus offensif à la frontière libyenne — a d’ailleurs exprimé la reconnaissance des Etats-Unis pour « les efforts de l’Algérie dans la lutte antiterroriste ».
Quelques jours plus tôt, c’est le chef d’état-major des armées françaises, Pierre de Villiers, qui, en visite à Alger, pressait à une intervention militaire collective en Libye. « Même si la politique algérienne a beaucoup changé depuis quelques mois – on sent qu’elle sort de sa réserve –, elle résiste à l’implication militaire qu’on attend d’elle, pas seulement au nom des intérêts étrangers, nuance le politologue Imed Mesdoua, mais aussi, de l’avis des diplomates, parce qu’il y a une véritable reconnaissance de l’expertise algérienne, car les scénarios prédits par Alger sur le Mali ou la Libye sont en train de se produire. »
Légitimité
Youcef Khababa, député et chef du groupe parlementaire l’Alliance de l’Algérie verte (islamistes), regrette, quant à lui, que « l’Algérie, qui a fait beaucoup d’efforts pour éradiquer le fléau du terrorisme avec sa politique de réconciliation nationale, se retrouve touchée par les troubles à ses frontières et par les interventions de la France en Afrique ». Mohand Tahar Yala, général à la retraite et fondateur du Mouvement pour la citoyenneté, ne s’étonne pas que l’Algérie « paye les conséquences de cette politique ». « J’ai toujours dit que nous ne devions pas participer à la lutte antiterroriste que la communauté internationale nous a laissés mener seuls dans les années 1990 en fonction des stratégies des autres, élaborées ailleurs, mais au nom de nos intérêts internationaux. Je plaide d’ailleurs pour que nous travaillions avec les pays voisins de manière plus étroite afin que toute intervention étrangère se fasse au service des peuples et non pas des régimes. »
Mohcine Bellabas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, va plus loin : « Coopérer ou pas au risque de voir l’armée se transformer en sous-traitante est un débat qui existe. Pour éviter cela, je pense qu’il y a urgence pour ce pouvoir de puiser sa légitimité dans des élections libres et transparentes. »
Mélanie Matarese