Alain Soral est-il responsable de l’antisionisme des jeunes de banlieue ou de la hausse de leur niveau de conscience ?
C’est la vraie question que nous posons, et qui n’a été posée que partiellement par Alain Finkielkraut chez Ruquier ce samedi 3 octobre 2015.
Malheureusement, il n’y aura pas de droit de réponse.
Ce n’est pourtant pas ce qu’enseigne la Torah.
Dans l’émission religieuse juive Judaica, diffusée ce dimanche 4 octobre 2015 sur France 2, il est question de tolérance. Le rabbin en plateau cite le rabbin Hillel :
« Ne fais point à autrui ce que tu ne voudrais point qu’il te fasse. C’est là toute la Torah, le reste est commentaire. »
Le philosophe Alain Finkielkraut, qui se voit persécuté dans les médias, a disposé 66 minutes et 6 secondes (66-6 !) pour s’exprimer sur la grande chaîne de service public, un soir de grande écoute. Nous connaissons tous par cœur son idéologie, qui a pris progressivement – avec quelques prudentes prises de distance personnelles – le tournant de l’extrême droite israélienne depuis une décennie. Ce qui ne veut pas dire que Finkielkraut est d’extrême droite. On laisse la fascisation de « l’ennemi idéologique » à nos adversaires.
Pour ceux qui préféreraient l’écrit à l’oral, voici le dérushage de la partie de l’émission où l’Académicien met en cause le penseur Alain Soral.
Alain Finkielkraut : Je ne dis pas que les dignitaires nazis étaient plus sympathiques, avaient plus de cœur que les jeunes d’aujourd’hui, je m’interroge sur cette situation en France où au moment même où l’enseignement de la Shoah devient obligatoire, l’enseignement de la Shoah devient impossible dans de plus en plus de collèges, première réalité…
Yann Moix : Ça c’est vrai.
Finkielkraut : Et je constate, comme beaucoup de professeurs en témoignent, que lorsque l’on montre des images que ce soit Nuit et Brouillard ou autre, eh bien beaucoup d’élèves ricanent. Et je mets cela en relation avec l’invraisemblable succès de Soral et de Dieudonné. Que ce soit dans leurs spectacles ou que ce soit sur Internet. Il y a si vous voulez une hostilité aux juifs qui se manifeste à travers cette espèce de récusation de la Shoah, ce massacre dont on a trop parlé, dont on a rebattu les oreilles à toute une jeunesse. Et c’est cela que je voudrais essayer…
Laurent Ruquier : C’est cela qui vous inquiète…
Finkielkraut : Ben écoutez je suis inquiet, je pense qu’on le serait à moins. Et j’en parle encore une fois parce que la grande idée de l’époque, c’est que l’islamophobie est la forme moderne de l’antisémitisme. Or le concept d’islamophobie je le récuse complètement. Il vise à empêcher toute critique de l’islam, toute critique d’une religion. Je dois dire que je ne suis pas le seul à le faire. Un grand intellectuel comme Boualem Sansal, nous met en garde contre l’emploi de ce terme, il dit aujourd’hui en France où se construisent de plus en plus de mosquées, ce n’est pas l’islamophobie c’est la montée de l’islamisme radical, et littéral, et aussi la montée de l’antisémitisme.
Sinon la vidéo est ici :
Le débat direct nous étant interdit, voici notre participation indirecte au débat.
A aucun moment Finkielkraut ne s’interroge sur une des raisons toutes simples de ce rejet, non pas de la Shoah, mais de l’enseignement de la Shoah, ce qui est très différent : l’antisémitisme n’est pas premier, c’est le sur-enseignement, pour ne pas dire le bourrage de crânes, le gavage des consciences, qui commande cette réaction.
Ensuite, vient se greffer dessus la problématique des concurrences victimaires, les enfants d’immigrés s’estimant lésés en France. Peu importe que ce sentiment soit fondé ou pas, il est ressenti, et donc réel. Comme le sentiment d’insécurité des Français (ignoré bêtement par les socialistes en 2007), qui pour une part vient de la violence directe des incivilités (transports, lieux publics), pour une autre de la violence virtuelle (médias), sans oublier la première d’entre toutes, la violence sociale (chômage, déclassement, paupérisation).
Finkielkraut a donc à moitié raison, si ce n’est au tiers. Les Arabes et les Noirs des cités ne sont pas génétiquement antisémites, ou antisionistes. Mais les avancées de l’Histoire récente leur ont mis dans la tête des choses qui vont dans le sens de l’antisionisme ou de l’antijudaïsme : la participation très active des juifs dans le commerce des esclaves, puisque les juifs étaient déjà à l’époque les maîtres des échanges commerciaux et financiers, tenant les comptoirs et maîtrisant les assurances maritimes, que ce soit au Portugal, en Espagne, en France ou aux jeunes Etats-Unis. Disons que c’est de l’histoire ancienne.
Alors si focaliser sur les juifs en général est une erreur, comme toute généralisation, il y a des faits historiques indéniables. Et si ces faits sont brandis aujourd’hui, c’est parce qu’une partie de la jeunesse n’est pas reconnue, acceptée, admise dans l’espace imaginaire français. Il s’agit alors plus d’un moyen de pression sur l’opinion que d’antisémitisme forcené.
Même chose avec les jeunes Arabes de France : la nationalité accordée aux juifs algériens lors du décret Crémieux a provoqué un grand sentiment d’injustice dans la société algérienne, qui a eu des conséquences très tangibles : antisionisme d’État (même si parfois ce n’était que de façade, pour coller aux aspirations du peuple, et détourner ainsi une partie de sa colère), participation directe ou indirecte aux guerres arabes contre Israël…
Donc les « jeunes des banlieues », comme les appelle Finkielkraut, ont quelques raisons historiques objectives non pas de haïr les juifs, mais de dénoncer un traitement médiatique et politique actuel injuste, pour ce qui concerne les deux communautés qui se font face. Car ne nous voilons pas les yeux : juifs et Arabes ne sont plus très mélangés aujourd’hui, que ce soit dans les habitations, dans les partis politiques, les associations ou les médias. Il y a un séparatisme de fait. Et toute la société assiste à ça : un conflit Israël/Palestine à l’échelle française.
L’erreur – volontaire ou pas – de la part du philosophe, est donc de considérer l’antisémitisme comme premier, alors qu’il s’agit d’une revendication sous-jacente. Et nous, sur E&R, qui sommes visés au premier chef, à travers Soral, ne sommes pas les chantres de la réplique « islamophobique » au sionisme dominant. Ce serait trop simple, de brandir l’islamophobie contre l’antisémitisme. Mais regardons les faits, et la situation des deux communautés, socialement, matériellement, politiquement, et médiatiquement (c’est-à-dire dans le traitement médiatique) : il n’y a pas photo. Les immigrés noirs et arabes partent avec un handicap certain, dans tous les domaines suscités, tandis que les juifs de France n’ont comme seul handicap que… l’antisionisme que les pauvres leur opposent. Une espèce de terrorisme du pauvre, avec le verbe comme seule arme.
Et si derrière les écrans religieux, tout n’était qu’une question sociale, une question de dominance ? Finkielkraut a beau rejeter l’argument, il est coriace. Les ricaneurs ne détestent pas la communauté juive, ils détestent le traitement de faveur dont elle bénéficie dans notre… République.