Après plusieurs jours de violents affrontements entre grévistes et non grévistes ayant fait une vingtaine de morts et des dizaines de blessés, le 17 août, la mine de platine de Marikana à l’ouest de Pretoria a connu de vraies scènes de guerre quand, totalement débordée, la police s’est dégagée en tirant dans la masse des émeutiers armés.
Bilan, une quarantaine de morts, plus d’une centaine de blessés et un demi millier d’arrestations. Les grèves insurrectionnelles se multipliant à travers le pays, le constat sécuritaire sud africain est que la police est incapable de faire face à des manifestants déterminés que les syndicats n’arrivent plus à encadrer.
Après cette description des faits, quelle analyse peut-on en faire ?
Comme je ne cesse de le dire depuis des années[1], le « miracle » sud-africain n’est qu’un mirage car l’échec de l’ANC est total et cela dans tous les domaines :
1) Le chômage touche environ 40% des actifs et le revenu de la tranche la plus démunie de la population noire, soit plus de 40% des Sud-africains, est inférieur de près de 50% à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant 1994.
2) Le climat social est empoisonné par les criantes inégalités nourries par les « Black Diamonds », ces nouveaux riches noirs, profiteurs insatiables qui ont fait main basse sur l’économie du pays et qui affichent avec insolence un luxe ostentatoire.
3) Le pays est livré à la loi de la jungle et des crimes sordides y font quotidiennement la « une » des journaux. En moyenne, plus de cinquante meurtres sont commis quotidiennement.
4) L’Affirmative Action ou « Ségrégation Positive », ou « Discrimination à l’envers », a remplacé le mérite et la compétence par la préférence raciale ou communautaire, tant dans les recrutements professionnels que dans l’obtention de contrats publics ou dans les grands choix politiques, administratifs, sociaux, etc.
5) Le pari qui était que la RSA allait décoller en raison de sa main d’œuvre noire à bon marché et de son encadrement blanc de haut niveau a été perdu car, depuis 1994, les Blancs diplômés ont quitté le pays, chassés par l’insécurité, les brimades diverses et la surfiscalité, ou bien ils se sont repliés dans la région du Cap. Quant aux Noirs, ils ne se satisfont plus de salaires de misère.
Les incidents sanglants de Marikana s’inscrivent également dans le contexte de la féroce lutte des clans qui se déroule au sein de l’ANC en vue de la désignation du futur candidat à l’élection présidentielle. Le même scénario que celui qui avait abouti au renversement de Thabo Mbeki en 2007 se reproduira-t-il lors du congrès de décembre 2012 quand il s’agira d’élire le président de l’ANC, donc le futur chef de l’Etat ?
L’ANC connaît en effet de graves tensions multiformes entre Xhosa et Zulu, entre doctrinaires post marxistes et « gestionnaires » capitalistes, entre africanistes et tenants d’une ligne « multiraciale ». Un conflit de génération oppose également la vieille garde composée de « black englishmen », aux jeunes loups prônant une libération raciale, comme au Zimbabwe.
Ces derniers ont pour leader Julius Malema, un jeune activiste d’ethnie Pedi[2] qui vient d’apporter son soutien aux mineurs grévistes et qui sait que ses propositions radicales comme la nationalisation des mines ou la saisie des fermes appartenant aux Blancs sont partagées par la grande majorité des Noirs.
Exclu de l’ANC, Julius Malema compte sur la multiplication des grèves insurrectionnelles pour mettre en difficulté le président Zuma qui est soutenu par le NUM, le puissant syndicat des mines très majoritairement zulu. C’est d’ailleurs pour l’affaiblir qu’a été fondé l’AMCU, cette scission extrémiste du NUM qui a lancé la grève de Marikana. La condition économique et sociale du pays se détériorant avec une inexorable régularité, l’extrémisme noir a de beaux jours devant lui.
Nelson Mandela et ses successeurs ont donc transformé un pays qui fut un temps une excroissance de l’Europe à l’extrémité australe du continent africain, en un Etat du « tiers-monde » dérivant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violence. Cette réalité est encore en partie cachée grâce à un secteur ultraperformant mais de plus en plus réduit, dirigé par des Blancs qui n’attendent qu’une occasion pour aller exercer leurs talents en Australie ou au Canada.
Pouvait-il en être autrement avec une idéologie officielle reposant sur ce refus de la réalité qu’est le mythe de « nation arc-en-ciel », « miroir aux alouettes » destiné à la mièvrerie occidentale et qui a longtemps interdit de voir que l’Afrique du Sud ne constitue pas une Nation ? Il s’agit en effet d’une mosaïque de peuples juxtaposés dont les références culturelles sont étrangères les unes aux autres et dont les intérêts sont contradictoires.