Point de vue du capitaine Paul Barril, du GIGN, en 1996 sur l’attentat de la rue des Rosiers. Capitaine Paul Barril, Guerres secrètes à l’Élysée, Éditions Albin Michel, 1996, pp. 38-40.
« Qui sont les auteurs de la boucherie sanglante de la rue des Rosiers ? Le terroriste Abou Nidal revendique souvent, et sans aucun complexe, les forfaits qu’il commet. En revanche, il ne s’exprimera jamais sur le "sujet tabou" de l’attentat de la rue des Rosiers. Plus de treize ans après les faits, c’est le silence dans la "communauté du renseignement" où pourtant peu de secrets peuvent résister au temps, à la délation et aux vantardises, voire à la trahison ou aux primes en dollars. Les attentats arabes commis dans les années 80 ont été, un à un, élucidés, leurs auteurs connus, ainsi que leurs commanditaires. Tous, sauf pour la rue des Rosiers. Black-out total.
Cet attentat reste "hors normes". Un de ses premiers effets aura été de renverser, en faveur de l’État d’Israël et contre le "terrorisme palestinien", le climat violemment anti-israélien créé par les atrocités commises au Liban par Tsahal, l’armée israélienne. Un basculement du discours télévisuel et médiatique suivit. L’"agresseur israélien" devint la "victime juive". Un miracle en somme.
J’en serai moi-même surpris, à l’occasion d’une rencontre au sein de l’ambassade israélienne à Paris, avec un vieux monsieur chauve, digne et discret : le représentant du Mossad pour l’Europe. Les Israéliens, qui n’ont jamais manifesté, dans le cas de l’attentat de la rue des Rosiers, leur habituelle volonté d’appliquer la "loi du Talion", semblaient peu intéressés par mes informations.
J’en ai gardé un profond sentiment de malaise et de gêne. Régis Debray, dans une note confidentielle qu’il adressa au président de la République, en date du 20 avril 1984, confirma mes interrogations sur cet étrange attentat de la rue des Rosiers, ainsi que la dangerosité des Irlandais de Vincennes. Il faisait apparaître le rôle particulièrement trouble de Bernard Jégat. En effet, écrivait-il à François Mitterrand :
"J’ai rencontré M. Bernard Jégat hier. Il me paraît bien être le seul témoin capital et se déclare prêt à faire crever l’abcès, dût-il aller lui-même en prison. Cette clarification aurait l’avantage de mettre clairement le commandant Prouteau hors de cause et d’authentifier l’extrême importance de l’affaire des Irlandais, lamentablement saccagée par le capitaine Barril.
(…) Il a la conviction intime, ainsi qu’un faisceau de présomptions, que ses amis irlandais ont servi de base logistique (voitures, passeports, contacts, armes) dans l’attentat de la rue des Rosiers, mais il n’en a pas la preuve matérielle, là est la difficulté. Bernard Jégat se sent aujourd’hui menacé de mort par ses anciens amis. Il demande les moyens de déménager rapidement, un permis de port d’arme et une orientation sur la conduite à tenir (doit-il aller ou non chez le juge d’instruction ?). Il me remettra, dans une quinzaine de jours, un rapport écrit détaillé sur tout ce qu’il a vu, vécu et entendu entre 1979 et 182 dans son réseau terroriste, qu’il croyait au départ, mais à tort, purement de soutien à la cause irlandaise. (…)".
Sans commentaire.
Mon scepticisme sur l’attentat de la rue des Rosiers s’est aggravé quand j’ai appris que Abou Nidal, alors le terroriste le plus recherché de la planète, avait passé de longues années, en toute tranquillité, dans une villa cossue de Koweit City. Rallié, en 1991, à la coalition anti-irakienne durant la guerre du Golfe, il a néanmoins laissé certains de ses hommes de main participer aux pogroms antipalestiniens qui eurent lieu, justement au Koweit, après le triomphe des troupes américaines.
Quoi qu’il en soit, pour le GIGN, à l’époque, c’était "l’alerte rouge". L’Anschluss du général israélien Sharon avait pour but déclaré de "rendre service au monde" en envoyant Israël "extirper du Liban le terrorisme international". Nous étions le 6 juin 1982. L’opération "Paix en Galilée" commençait. Deux mois plus tard, les résultats n’étaient pas probants.
En "découpant la ville au chalumeau", selon l’expression d’un rescapé, les blindés du "boucher de Beyrouth" parvinrent, certes, à chasser l’OLP de Yasser Arafat de ses bases, mais pour combien de temps, et surtout, à quel prix ? Au demeurant, aujourd’hui, Yasser Arafat est prix Nobel de la paix, il a remis les pieds, avec ses hommes en armes, sur une parcelle du sol de la Palestine et il a même une représentation à Paris. »